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Review This Story || Author: Lionrobe

Moriturae te salutant

Part 1 French

Moriturae te salutant

                                                        Moriturae te salutant

                                             

 

Chapitre I Premier jour. An 64-Rome en flammes.

 

- Néron

 

Rome est en flammes. Depuis le début de la soirée. La plèbe a été impuissante, les cortèges de porteurs d’eaux se sont épuisé en vain à isoler les baraques en bois des faubourgs. Puis les maisons en briques se sont embrasées, les écuries ont libéré des cohortes de chevaux affolés.

Les eucalyptus centenaires des avenues principales dressent un triomphe incandescent à la foule hébétée qui piétine devant les cendres des échoppes. Les thermes et les amphithéâtres aux robustes colonnes abritent une population cosmopolite qui se lamente et gronde.

Des patriciennes se lient avec des prostituées. Des acteurs encore parés de leurs masques de scène boivent dans la même gourde que des légionnaires. Et la rumeur gronde de plus en plus fort –les chrétiens- les chrétiens- LES…CHRE…TIENS.

 

Devant sa petite cour d’esclaves et de familiers, Néron est accoudé à la balustrade du jardin suspendu sur le toit de son palais. Il contemple comme en plein jour une Rome dont chaque détail d’ombre et de feu envahit ses pupilles dilatées. Des brindilles incandescentes mélangées à de rares lucioles affolées, qu’il chasse d’un revers de main apaisé, descendent lentement d’un plafond d’étoiles.

Il a craint toute la journée la pluie, qui aurait gâché le tableau vivant que le Dieu est en train de composer pour ses sujets. Il a craint aussi la maladresse de ses sicaires, chargés de répandre le feu dans la ville et le poison dans les esprits.

Il sourit et se retourne en fixant un grand parterre d’immenses roses nacrées venues de Sicile.

 

Afsilla est en train de rire avec Regulus, le chef de sa garde prétorienne. Il surprend une complicité un peu trop marquée, une inflexion particulière de ce rire. Afsilla sait qu’il l’a vue, elle rit plus fort maintenant, comme si elle avait entendu une de ces histoires lestes dont seules les esclaves ont le droit de rire.

Se frayant un passage au milieu des gardes, qui ont déposé leur casque dans la chaleur de cette nuit unique, elle s’approche de lui, sans surtout baisser les yeux. Il se retourne.

 

 Les flammes qui approchent maintenant le Colisée ont perdu de leur vigueur. Elles s’émoussent sur les pierres des palais et des maisons les plus nobles. Les beaux quartiers sont en train de remporter la bataille. Les senteurs capiteuses des fleurs africaines mêlées aux jeunes pousses d’aneth, emplissent de nouveau l’odorat délicat du roi du monde.

Une main glisse doucement sous sa toge en soulevant les replis de son ventre. Les lourdes nattes d’Afsilla, soigneusement torsadées de torques d’or, ont envahi ses cuisses.

Il n’a pas besoin de baisser les yeux pour voir les lèvres gonflées de la jeune éthiopienne s’emparer de son membre. Il n’entend plus rouler les tesserae, les dés lancé par les vétérans des guerres d’Espagne. Il a fermé les yeux et sait que tous les regards sont fixés sur son abolla, son manteau de guerre qui protège l’acte sublimement impudique.

Afsilla est très excitée elle aussi, il a compris que ses doigts n’ont quitté son membre que pour se porter à la rencontre de son clitoris. Son pénis est très petit, mais Afsilla, en experte fellatrice, est toujours parvenue à étirer démesurément son membre viril, sans le blesser, en faisant d’abord descendre doucement sa langue le long de son filet, puis, empalée jusqu’à la gorge, en agaçant la base de ses bourses d’une pointe dardée, avant de remonter lentement en aspirant de toutes ses forces les premières gouttes incolores mais déjà âcres.

Néron ne peut pas gémir en public, mais il se sent happé, vidé par chaque succion plus prolongée. Juste avant qu’il ne se rende, Afsilla relâche sa pression, car elle n’est pas tout à fait prête à venir elle-même. Il sent que le rythme qu’elle imprime à son index s’est accéléré, car il en subit le délicieux écho par sa langue, qui virevolte de plus en plus follement autour de son gland, dans des cercles concentriques de plus en plus resserrés, qui se sont déplacé du tour de son prépuce pour venir violer maintenant son méat béant.

Lorsque Afsilla resserre ses cuisses, elle sent une première longue giclée de sperme très épais frapper le fond de sa gorge. Elle se penche en avant et éprouve les contractions de la verge qui se vide. Sa main libérée s’est porté sur les augustes testicules, qu’elle a recueilli, petites noix fragiles, pour accompagner leurs ultimes soubresauts. Néron n’a pu s’empêcher de s’incliner sur la tête de sa maîtresse, comme s’il craignait que la puissance de l’aspiration d’Afsilla emporte une partie vitale de son être.

 

- Afsilla

 

Afsilla émerge des ténèbres. Elle voit en se redressant, au dessus de son menton lourd, de son nez aquilin, le long regard que Néron porte sur Regulus.

Regulus, au beau masque tragique, qui la contemple maintenant avec désespoir. Dans le ricochet de ces regards échangés sans un mot, Afsilla a compris son sort. Elle pose sa main sur le bras de Néron, faussement enjouée pour gagner du temps “ César, c’est bon d’avoir bu à ta santé ! ”.

Néron se dégage fermement, sans violence. Il resserre la ceinture de son manteau et s’approche de Regulus. Il murmure quelques mots à son oreille. Regulus, le visage blême, sait que sa loyauté ne peut être prouvée que dans le châtiment de sa trahison. Il ferme les yeux quelques instants. Puis il donne des ordres brefs dans leur langue à deux mercenaires scythes.

Néron s’est légèrement reculé pour mieux apprécier le spectacle qu’il a commandé. Il butte contre un buffet au trois quart servi et plonge la main dans un plat de langues de porc confites avec des pétales de violettes. Il donne un ordre à un esclave qui part en courant.

Les deux mercenaires se sont emparé d’Afsilla, qui est resté stupidement au centre d’un cercle dont tout le monde s’est soigneusement écarté. Elle ne peut pas croire ce qui va lui arriver, ce qu’elle a déjà vu des dizaines de fois. Son jeune corps plein de vie, encore frémissant de son orgasme, ne peut tout simplement pas admettre ce que son esprit affolé tente de lui communiquer.

Lorsqu’ils lient ses épaules d’ébène faites pour porter les chaînes, elle ne résiste pas. Anesthésiée, elle se laisse diriger sous la branche basse et épaisse d’un gigantesque mélèze dont les aiguilles compactes apportent un peu de fraîcheur dans la touffeur nocturne.

Elle frissonne lorsque les maillons glacés s’incrustent sous les aisselles, s’enroulent autour de ses coudes, et tirent sur ses poignets. Elle est lentement soulevée de terre et entend l’acier racler l’écorce du conifère. Elle cherche un regard ami. La haine, la jalousie, le stupre, seront ses dernières visions. L’un des scythes a amené deux gros fouets en cuir de rhinocéros. Elle est presque soulagée. Ainsi, Néron veut juste la punir de l’avoir trompé ? Elle en pleurerait presque de joie.

Elle n’a pas vu venir dans son dos deux légionnaires, qui ont planté dans le sol, juste sous ses jambes, leur lourd pilum.

La large extrémité arrondie des bouts en chêne, qui se touchent presque, luit sous la lune. Elle prend conscience de leur présence en même temps qu’elle descend tout doucement. Elle pousse un long hurlement de terreur qui fait tressauter ses lourdes mamelles aux larges aréoles naturellement violacées.

“ Noooooon, pas comme ça, tuez moi tout de suiiiiite ”

 Les scythes ont écarté sans ménagement ses cuisses, qu’ils maintiennent fermement, tandis qu’ils introduisent les pals dans la chair vive.

Ses pores dilatés exhalent un lourd parfum de terreur absolue. Le premier pieu glisse rapidement dans sa matrice lubrifiée et vient tout de suite heurter douloureusement le col de son utérus. C’est presque avec soulagement qu’elle sent son anus, pénétré à son tour, partager l’insoutenable pression. Elle se retient de hurler sa révolte et sa peur, économise son souffle, attentive à tout mouvement qui risquerait de propager l’onde de douleur dans son corps voluptueux.

Millimètre par millimètre, l’un des légionnaires laisse descendre la chaîne.

Néron a pris la lyre que lui a tendu d’une main tremblante son esclave. Il caresse les cordes sur le même rythme lent que le légionnaire, jusqu’à ce qu’il finisse par dicter lui-même le tempo de la descente.

Afsilla transpire abondamment. Ses cuisses et ses chevilles ont engagé un combat sans espoir pour accrocher le bois trop bien poli par l’usage. Au début, elle a cru que ses doigts de pied, ses ongles, pourraient accrocher quelques veinules. Mais elle a très vite glissé et elle sent maintenant que ses organes sont au point de rupture. Elle commence à gémir.

La foule contemple avec fascination les larges rigoles de sueur qui brillent sur la peau presque noire et tombent goutte à goutte sur le sol.

“ AAAAAHHH ”. Afsilla a poussé un cri farouche. La pointe du pal vient de traverser une membrane. Elle pleure sa douleur insupportable. Du sang se mélange bientôt à la sueur du corps traversé de spasmes. Les cuisses tétanisées parviennent à s’arc bouter sur un nœud dans une rébellion désespérée pour ralentir la progression de son corps sur les deux phallus.

Un fouet claque sur la croupe callypige dans la nuit immobile.

“ Nerooooon ”.

Le second coup trouve la base de sa forte poitrine.

“ NEROOOON ! ! ! ” Elle se raidit dans une contraction sauvage, ses jambes se détendent un court instant avant de se raffermir brutalement et elle pousse un cri déchirant qui a couvert l’accord dissonant de la lyre. Elle vient de relâcher un long jet d’urine qui coule le long de la lance et se mélange à son sang.

Les spectateurs se sont inconsciemment rapproché, car ils savent qu’Afsilla ne pourra lutter plus longtemps.

Ce sont deux coups de fouet qui ont claqué ensemble cette fois, les scythes visent l’un la base des mamelles, l’autre leur sommet, ils les compriment en même temps qu’ils les cinglent, et les déchirent en ramenant vers eux la lanière.

Les pals se sont enfoncé brutalement d’un pied de long. Afsilla hurle, d’un hurlement de petite fille qui paralyse les plus jalouses des autres esclaves. Maintenant, ses jambes tremblent et ne s’opposent plus à la lente descente de son corps convulsé de soubresauts incroyablement érotiques.

Du sang et des fèces s’écoulent de ses orifices. La douleur la suffoque au delà de tout entendement. Cette douleur que la pression des pals repousse toujours plus loin, toujours plus haut dans son corps.

Son sein droit vient d’être ouvert, et les femmes se sont caché le visage, tandis que certains légionnaires ont osé applaudir puisque le Dieu vivant semblait content. Un autre coup bien visé dans le même sillon découpe une plaie béante.

Afsilla contemple son sein presque tranché qui pend sur son nombril. Elle n’a plus tout à fait conscience de la ruine de son corps, plus peur de mourir. Son esprit est en train de s’obscurcir.

La chaîne descend un peu plus vite, Néron accompagne les accords de sa lyre de quelques strophes que la beauté du corps supplicié lui inspire.

La foule pousse un “ oh ” de surprise amusée lorsque la pointe d’un pal émerge de l’aine d’Afsilla. ”AAAAAAAAHHHHHHHH ” Des commentaires bruyants parient sur l’apparition de l’autre.

“ YYYYYYYEEEEEEEEHH ” la pointe oblongue et érigée de son sein gauche vient d’être décapitée.

 Afsilla n’est pas encore morte, ses entrailles sont simplement écartées par le bout arrondi qui n’a pas touché le cœur. Elle n’a plus la force de gémir, elle ne sent plus les derniers coups de fouets assenés sans réelle conviction, qui ont arraché en lambeaux ses mamelles dont l’essentiel gît sous ses jambes. Il lui reste encore tout juste assez de lucidité pour sentir le pieu perforer en même temps ses entrailles, son diaphragme et trouver sa trachée artère après avoir semblé hésiter quelques instants. Elle est étranglée, comme garrottée lorsque le pal choque ses dents.

Elle trouve la force de décontracter ses mâchoires pour laisser glisser la lance et tombe à genoux dans ses propres matières, ses yeux restent ouverts sur une horreur indicible ponctuée d’un dernier accord enfin harmonieux. 

 

Chapitre II Deuxième jour. Des catacombes aux arènes.

 

- Sous l’aqueduc de la Via Sicilia

 

Agathe passe la main sur son front mat pour égoutter la mèche rebelle qui s’est échappé de sa somptueuse chevelure d’un brun très profond. Sur le portique en briques ocrées qui sépare le jardin de la riche villa du sénateur Albus de la Via Appia, elle distingue l’habituel avertissement “ Cave canem ”, qui encadre un chien dessiné dans la mosaïque de faïences.

Elle a réussi, elle a mené à bon port la petite troupe de chrétiens dont le prêtre Navatonius lui a confié la sauvegarde. Il lui a donné sa bénédiction dans la dernière grotte des catacombes suintantes, en étendant la paume de sa main protectrice au-dessus du pauvre troupeau affolé. Puis il est reparti au secours de ses ouailles qui n’ont pu échapper à la furie vengeresse des romains.

Elle est fière d’avoir su déchiffrer le labyrinthe des catacombes, fière de la confiance que lui ont toujours manifesté jusqu’au petit matin les chrétiens encore stupéfaits par la cruauté de la populace - leurs propres voisins ou amis - qui les traque depuis le début de la nuit.

Elle est parvenu ensuite à les guider dans le réseau des égouts pestilentiels, la cloaca maxima, comptant et recomptant sans cesse les retardataires. En queue de la colonne, elle parvient à discerner, malgré l’obscurité, la plupart de ses amies, membres comme elle d’une petite compagnie de théâtre. Casilda et Elagia, unies par une tendre passion qu’elle est seule à connaître, ferment la marche et encouragent les plus faibles en portant leurs pauvres biens. Sulpicia, la robuste fille de ferme, soulage une jeune mère en portant son nourrisson. Sophonia et Cécilia, les sœurs gymnastes, encadrent en chantonnant les flancs de la procession qui serpente dans les souterrains. Les gouttes qui s’écoulent des voûtes mal liaisonnées ruissellent davantage à chaque tournant, qui marque une intersection de deux rues au-dessus de leurs têtes.

Son nourrisson dans les bras, Livia l’a rejoint et dit simplement “ Merci, Agathe ”, lorsque la lumière apparaît à travers un soupirail. Le soleil se lève paresseusement au-dessus de la blanche villa d’Albus, le seul sénateur chrétien de Rome, lorsque les fuyards émergent des ténèbres.

Agathe est profondément soulagée d’avoir rempli sa mission. Fière, heureuse et amoureuse. Car elle espère aussi retrouver Regulus, qu’elle vient enfin de convertir, Regulus, le centurion au mains si fines, à la voix si douce, si fort quand il la prend dans ses bras. Elle donnerait sa vie pour partir très loin avec lui ce matin, puisqu’il lui a promis de quitter Néron et sa maîtresse noire.

 

- Dans le parc d’Albus

 

Les fleurs multicolores du parc déploient leurs corolles sous la caresse des premiers rayons et exhalent des parfums inconnus des citadins, mais pas d’Agathe. Pendant qu’elle traverse lentement les brumes matinales pour reconnaître les lieux, Regulus, debout devant une stèle au bord de la piscine carrée en marbre, la contemple de loin, le cœur serré.

Agathe l’a vu à son tour, son cœur s’emballe, elle se met à courir en soutenant sa forte poitrine, d’abord maladroitement, avant de déchausser ses sandales pour aller plus vite. Elle s’arrête net dans son élan, stoppée à quelques mètres de Regulus par son regard fixe et implacable. Elle pousse un cri d’horreur lorsqu’il s’écarte pour révéler la stèle. Le sénateur Albus est allongé derrière lui, le cou garrotté autour de la base de la colonne funéraire.

De tous les arbres du parc surgissent des soldats qui s’emparent de la centaine de chrétiens égaillés.

Sur l’ordre de Regulus, dont la seconde preuve de loyauté à l’empereur vient d’être ainsi donnée, les mâles, les vieillards et les nourrissons, sont passés au fil de l’épée parmi les gémissements et hurlements éplorés des épouses et des mères.

Les chrétiennes survivantes se tiennent maintenant alignées devant lui. Il passe lentement leurs rangs en revue. Il a détourné les yeux du regard flamboyant que lui a lancé Agathe.

Une idée lui est venue, et il murmure un ordre à un légionnaire. Il prend par le bras pour les faire s’avancer en première ligne une dizaine des plus belles chrétiennes, dont Agathe et ses amies font partie. Un légionnaire revient, porteur de tablettes de cire et d’un stylet trouvés dans la bibliothèque d’Albus. Il tend à chaque chrétienne l’une des plaques sur lesquelles Regulus leur intime l’ordre de graver leur nom et prénom. Les légionnaires enfilent une cordelette dans le bord supérieur des plaquettes qu’ils nouent autour de leurs cous.

C’est un sinistre cortège d’une soixantaine de femmes et de jeunes filles couvertes de poussière que les soldats poussent de leur lance devant eux. Les têtes basses dissimulent à peine les macules laissées par les sanglots sur leur peau grisâtre.

 

- Un après-midi sur le forum

 

La foule se presse sous les arcades. Artisans surgis des rues ou des venelles plus petites, marins dont le bateau a fait escale, matrones des bas-quartiers à la voix avinée, forgerons, esclaves affranchis qui jouissent de leur liberté nouvelle ou charlatans, le bas peuple attiré par la rumeur de la capture des familles chrétiennes se hâte vers le forum.

Le héraut officiel, chantre des jeux du cirque, recommence toutes les deux minutes sa sinistre litanie, juché sous le portique doré qui sépare le plus ancien forum de la ville, celui qui a vu naître la République, du Champ de Mars.

“ Approchez, approchez, Romains. Néron vous invite à assister aux supplices des chrétiens qui ont mis le feu à vos demeures. Demain, au Colisée. En l’honneur des ides de juillet. Approchez, approchez… ”.

Chacun dans la foule est heureux de se voir ainsi dispensé des traditionnelles offrandes aux dieux Lares. Des clameurs joyeuses montent de partout.

Clodia, épouse du sénateur Marcus Gaius, a fait arrêter sa chaise à porteurs. Elle écoute la rumeur avec son amie Fulvia pendant quelques instants.

-   “Ah, Fulvia, Néron sait bien s’y prendre, décidément, voilà ce qu’attend le peuple, pas des discours de sénateur ”.

-   “Comme tu as raison. Tiens, voici ce que disait hier encore Juvénal, dans la bibliothèque des thermes de Caracalla :- depuis qu’on ne vend plus les suffrages, le peuple se moque de tout : lui qui, jadis, donnait les pleins pouvoirs, les faisceaux, les légions, tout enfin, ne veut plus que du pain et des jeux, panem et circenses ”. Les cris de joie des badauds couvrent le discours.

Clodia lève les yeux au ciel et hèle un apprenti -boulanger qui pousse un cerceau devant lui :

·        “Qu’est ce qu’il vient de dire, encore ? ”. Le jeune garçon met ses mains en porte-voix :

·        “Il a dit que ceux qui savent écrire pourront voter et choisir le supplice des chrétiennes ”.

Atterrée, Clodia se renfonce dans son siège et fait signe aux porteurs de repartir. Elle sait qu’elle ne pourra encore une fois se dérober sans risquer de passer pour une disciple de ce Jésus-Christ, qui continue de perturber l’ordre établi soixante ans après sa mort. Sa famille a perdu une partie de ses biens lors de la seconde révolte des esclaves, et elle sait que les intérêts de sa classe sociale sont incompatibles avec les doctrines des chrétiens. Elle se résout pensivement à l’idée d’assister à ces réjouissances bestiales avant de chasser de son esprit ces pensées importunes.

 

Chapitre III Troisième jour.  Dans les arènes du Colisée.

 

- L’arrivée

 

Agathe a naturellement pris la tête de la petite colonne de prisonnières qui vient de passer sous l’arc de triomphe de Constantin. Les derniers vestiges de l’incendie qui vient de ravager Rome sont maintenant dépassés. Follement inquiètes, les femmes et les jeunes filles n’ont pas dormi un seul instant la nuit dernière. Les hurlements de la foule qui leur compose une terrifiante garde d’honneur les terrorise. Elles savent bien que si elles n’étaient pas encadrées par deux lignes de légionnaires qui repoussent en permanence les flots de cette marée humaine, elles seraient happées et broyées vives par ces mâchoires haineuses.

A ses côtés, Regulus a installé toutes ses compagnes qui peuvent être identifiées par leurs noms. Elles semblent soutenir Agathe comme une garde rapprochée, et elle se sent plus forte.

Le cortège débouche bientôt devant le Colisée, et comme chaque romain le fait chaque fois, marque une pause devant l’impressionnante enceinte extérieure composée de quatre niveaux, qui peut contenir environ soixante dix mille spectateurs. Tous les yeux parcourent les quatre-vingt arcades du rez- de chaussée, avant de remonter jusqu’au dernier niveau où des murailles pleines, rythmées par des pilastres, sont divisées en compartiments parés de boucliers de bronze et agrémentés une fois sur deux de fenêtres carrées.

Au-dessus trônent les velae, voiles en lin supportées par des mâts, étendues pour protéger de la pluie et de la chaleur les nobles spectateurs du dernier rang.

Les chrétiennes et la foule se séparent.

Les jeune femmes sont introduites dans les arènes par une porte de service qui vient de s’ouvrir devant elles, tandis que la foule envahit les gradins après avoir franchi les quatre entrées principales.

Des exclamations de surprise fusent de toute part :

Depuis la veille, les sapeurs de quatre centuries de la troisième légion, qui vient de s’illustrer en Germanie, ont construit de leurs haches quatre turris, les tours de siège à hauteur de murailles, dont les larges plate-formes dispersées aux quatre coins de l’arène semblent toucher les gradins médians.

Néron a voulu que la foule puisse pleinement profiter du supplice des jeunes chrétiennes depuis n’importe quel endroit. Il a bien sûr veillé dans son ordonnancement à ce que les tortures les plus spectaculaires soient appliquées dans la tour située juste en face de la loge impériale.

A l’exception d’Agathe et de ses sœurs, qui les ont rejoint peu après, les chrétiennes ont immédiatement descendu un grand escalier de pierres noircies, froid et sombre comme un sépulcre. Au bout d’un labyrinthe de salles mal éclairées, elles doivent rejoindre leurs cellules. Elles contemplent avec effarement la petite ville souterraine qui nourrit les jeux.

 

Le sable de l’arène repose sur un gigantesque plancher de bois d’environ quatre-vingt dix mètres de long et soixante de large. Dans le sous-sol, les bains, les cuisines, les réserves, côtoient les pièces réservées au matériel, ascenseurs, machineries, monte-charges et cages aux fauves. D’étroits couloirs partent de la fauverie et mènent à des trappes. Des feulements ont franchi les parois, et les chrétiennes se sont regroupé en sursautant. Elles avancent dans le couloir principal d’un pas plus rapide, en sanglotant, comme si leurs cellules allaient leur offrir une protection durable.

Pendant ce temps, boulangers, forgerons, artisans, commerçants, chevaliers de petite noblesse, soldats en retraite sortis de leurs villulae de Campanie, serviteurs récompensés d’un jour de congé par leur maître, donzelles nubiles et rougissantes, continuent de se presser dans les rangées.

A l’opposé de cette hâte, les patriciens, certains de trouver une place dans leur loge, ont franchi tranquillement le pont qui les sépare de la salle de vote. Ils discutent avec animation des supplices qui vont être administrés dès cet après-midi, et pour lesquels chacun d’eux a pu graver sur un petit papyrus le nom d’une des chrétiennes exposées quelques instants auparavant à leur bon plaisir.

 

- L’ouverture des jeux

 

Alors que les derniers spectateurs prennent place accompagnés par les protestations de ceux qui sont déjà assis, le héraut chargé de faire le panégyrique des jeux les déclare ouverts en l'honneur de Mercure.

Pour faire patienter la foule avant le triomphe de Néron, des vélites légèrement armés le remplacent au centre de l’arène et se livrent à des simulacres de combats. Ils sont remplacés quelques instants après par des acrobates qui jonglent sans fin avec des balles. Au moment où commencent à s’élever des sifflets, une clameur annonce l’arrivée de Néron, et le silence se fait.

Salué par le son grave des cymbales, revêtu de son trabée, le manteau blanc des rois, Néron vient d’apparaître par la Porte Triomphale. Une clameur d’approbation étonnée jaillit des gradins. Car au lieu des habituels étalons arabes drapés de phalères clinquantes et scintillantes, ce sont quatre jeunes chrétiennes qui tirent le quadrigae, le char impérial à quatre roues. En état de parfaite nudité, chacune pousse en ahanant le joug fourchu qui lui est attribué. Une sorte de licol barbare ceint leurs poitrines jeunes et fermes, sciées par l’effroyable compression. Elles s’arrêtent, gémissent, repartent sous les applaudissements de la foule qui récompensent leurs efforts insensés.

Néron leur fait accomplir le tour entier de l’arène circulaire, tout près des premiers gradins, afin que la plèbe puisse apprécier les contorsions des fesses stimulées par son flagrum, le fouet réservé aux esclaves fugitifs.

Lorsque l’une des chrétiennes fléchit un genou, ce sont ses propres sœurs qui l’exhortent à se relever et redoublent d’intensité dans leurs efforts pour soulager sa peine.

Les pieds se crispent dans le sable tandis que siffle le fouet de Néron. Les moqueries de la foule gagnent en intensité tandis que les cuisses tétanisées semblent prêtes à se rompre.

La ligne d’arrivée en retour de la Porte Triomphale semble si lointaine…Des stries sombres marquent maintenant le dos des martyres. Néron  a ralenti le rythme des coups de cravache, car il ne veut pas risquer de devoir descendre de son char devant la foule.

Les profonds sillons creusés dans le sable grossier par les roues du char sont bordés par les traces des larges gouttes de sueur qui dégoulinent sans répit des peaux luisantes.

Des rires s’élèvent lorsqu’à ces gouttes se mêle le sang menstruel de la plus jeune des chrétiennes depuis que ses jambes flageolent. Maintenant, la marque de chaque station de leur interminable calvaire se trouve imprimée dans le sable brûlant.

 

Calpurnia mâche des baies de genièvre, car elle sait que sa bouche a conservé l’odeur de la semence de son dernier client. La courtisane se penche sur le cou de Drusilla, sa jeune cousine, et susurre “ C’est dégoûtant, ça. J’espère qu’on va voir de beaux supplices. Il paraît qu’il y a un âne qui a un membre comme ta cuisse…. ”. Drusilla a rougi, ce sont ses premiers jeux, et elle est très troublée de voir ces pauvres femmes nues devant la populace. Ses sentiments sont très mêlés, elle ne parvient pas à discerner ce qu’elle ressent pour l’instant, mais son cœur bat très vite.

 

- La légion entre à son tour

 

Précédés par le labarum, l’étendard impérial, chacun des trois manipules qui représentent la IIIe légion est séparé du suivant par une dizaine de chrétiennes chargées de chaînes. Beaucoup  ont perdu leur stola, déchirée pendant les innombrables viols qu’elles ont subi la nuit dernière dans le campement réservé aux vainqueurs des Sicambres en Germanie.

Les légionnaires ont d’abord marché au pas cadencé, puis, au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de la loge des sénateurs, ils accélèrent l’allure et finissent par trottiner au pas gymnastique. Peu habituées à cette allure si particulière, les chevilles entravées des chrétiennes s’emmêlent. Les centurions piquent de leur glaive les fesses tête-bêche, pendant que la troupe continue de sautiller sur place pour conserver le rythme. Lorsque les chrétiennes apeurées et honteuses sont rassemblées en un troupeau à peu près ordonné, les légionnaires reprennent leur marche, le torse fièrement bombé. Ils ont imperceptiblement rétréci leur foulée pour éviter un nouveau désastre.

Dès la fin du défilé, les chrétiennes sont descendues dans leurs cellules, tandis que Néron regagne sa loge. Quelques légionnaires et centurions, soigneusement triés, sont restés. Aidés par une petite troupe d’esclaves supplétifs qui balaieront et nettoieront le sable pendant toute la durée des jeux, ils s’affairent à la préparation des supplices. 

 

- dans le cachot

 

Les chrétiennes se remettent difficilement de leur tour de piste. Seule la peur horrible qui noue leurs entrailles parvient à ralentir les soubresauts qui secouent leurs poitrines. Beaucoup prient maintenant, en sursautant dès le moindre bruit. Les plus curieuses sont allé au fond de l’immense salle. Elles réalisent que la cellule est plus basse que l’arène d’un demi - niveau. Devant elles, à hauteur de poitrine et sur toute la largeur de la salle, des barreaux s’interposent, mais elles peuvent étendre la main sur le sable.

Agathe et Elagia ont machinalement pris une poignée de sable déjà incandescent dans le creux de leur main, et elles le laissent s’échapper en échangeant un long regard accablé.

Lorsque la lourde grille de bronze s’ouvre en gémissant sinistrement, elles se retournent et accourent vers l’entrée.

Regulus n’a laissé à personne d’autre le soin de leur apprendre le résultat du vote. Il récite d’une voix monocorde les supplices qui leur seront appliqués. Il veut par son zèle extrême témoigner à Néron sa reconnaissance de lui avoir sauvé la vie. Il voudrait voir très vite disparaître les traces de sa trahison.

Il n’a pas vu Agathe passer presque dans son dos et s’infiltrer entre les deux légionnaires qui l’escortent. Lorsqu’il se retourne, le crachat le surprend et l’aveugle. Les deux légionnaires ont levé leur glaive, mais il les retient “ Arrêtez…j’ai mieux pour elle….et puis je vais m’en occuper personnellement… ”. Un mince sourire avilit la beauté de ses traits un peu féminins. Il promène un long regard sur ces femmes nues pour jouir de leur déchéance et de leur peur avant d’ajouter. “ Priez votre Dieu…oui…vous allez lui donner beaucoup de travail ”. Il lance à la cantonade ” et qu’on les lave tout de suite, elles puent autant que les tigres ! ! ”.

 

- Livrées aux bêtes

 

Pendant que les chrétiennes sont forcées de procéder à leurs ablutions, la gorge serrée par l’énoncé des supplices, les premiers animaux sont amenés dans l’arène. Trois grands ânes bruns de Thessalie défilent à leur tour, tirés par un esclave. Ils précédent une meute de dogues d’Abyssinie, impatients et affamés, dont les aboiements rauques sont étouffés par leurs muselières. Plus loin, un esclave porte une cage partiellement recouverte d’un drap rouge.

Avec des cordes de chanvre qu’ils relâchent doucement, les légionnaires ont laissé descendre de légères passerelles en frêne sur les turris. Chaque âne monte lentement dans l’une des tours. L’esclave se dirige vers la turris qui fait face à la loge impériale. Cinq chrétiennes, dont Livia, se présentent dans l’arène.

Agathe est accrochée aux barreaux. Elle ressent dans sa propre chair la vulnérabilité de son amie, elle s’est mordu le poing en entendant les sentences égrenées par celui qu’elle ne veut plus nommer, au point de ne même pas s’intéresser à son propre sort.

Les légionnaires s’emparent de quatre chrétiennes pour les escorter en haut des tours. Trois d’entre elles sont attendues par un âne dont les pattes antérieures reposent sur une large console. A coup de fouets, elles sont placées à genoux sous les ventres laineux et obligées en même temps d’administrer une fellation aux gigantesques membres puants et velus.

Agathe s’est rejeté en arrière, profondément choquée.

Lorsque les ânes se mettent à braire, les chrétiennes sont forcées de prendre leurs place sur les consoles et de soulever leur fessier pour présenter leur vulve aux bêtes excitées. Un concert de plaisanteries obscènes salue le spectacle d’un âne dont le sexe immense doit être guidé dans le puits inviolé de la plus jeune des chrétiennes.

Calpurnia a laissé filer discrètement son doigt entre ses jambes, tandis que Drusilla a la langue collée au palais. Les viols spasmodiques semblent maintenant devoir se prolonger indéfiniment, car les ânes manquent de stabilité pour pouvoir éjaculer au fond des matrices qu’ils effleurent et pénètrent alternativement.

 

Livia a été attachée sur une table de marbre glacée. Elle gît, jambes et sexe largement écartés face à Néron. Malgré son cou lié, elle est parvenu à soulever légèrement sa tête lorsqu’une rumeur ronflante a salué la présentation de la cage à César. Elle distingue vaguement un animal familier, avant de frémir d’horreur lorsqu’elle reconnaît les moustaches d’un gros rat.

Elle a parfaitement conscience que les fragiles lèvres vulvaires  d’une femme qui vient d’enfanter constituent un met de choix pour l’énorme rongeur. Elle pousse un hurlement de désespoir “ NOOOOOOONNNNN, César, grâaaaaaaaace ”.

 

La dernière chrétienne, légèrement corpulente, est resté au milieu de l’arène. Soudain, elle est entourée par une dizaine de légionnaires qui la guident à coups de pointes de leurs lances jusqu’à un portique. Elle s’arrête devant un tapis de tessons de verres sur son chemin, mais doit le franchir en hurlant de douleur tant la pression des fers sur ses fesses est insupportable. Arrivée près du portique, elle roule dans le sable en sanglotant tandis que le sang dont ses pieds sont recouverts imbibe le sol.

Deux légionnaires se sont avancé. Pendant que l’un maintient sans effort apparent ses bras dans le dos malgré sa faible résistance, le second transperce par les côtés les deux grosses mamelles pendantes. Les deux légionnaires s’emparent de la lance par chaque côté du manche et la traînent sans ménagement sous le portique. Malgré ses hurlements atroces, elle est promptement soulevée par les seins, et la lance repose maintenant sur les barres du portique. La chrétienne suffoquée par la douleur a bien vite cessé de bouger pour ne pas augmenter sa souffrance incommensurable.

 

Livia a cessé de supplier. Elle est pétrifiée depuis que la cage brûlante a été attachée sur son ventre. Elle espère que le rat va peut-être s’endormir sur la chaleur de sa peau, elle croit pouvoir l’apaiser en restant immobile, malgré le répugnant chatouillement de la moustache à travers ses poils pubiens. Elle voudrait tant que sa crête de coq violacée soit moins proéminente…Elle crie de toutes ses forces lorsque l’esclave s’avance porteur d’un tisonnier chauffé à blanc.

 

Les dogues sont lâchés. Ils ne tardent pas à flairer l’odeur du sang et à remonter la piste sanguinolente dans l’arène. Les plus véloces cherchent déjà à mordre les pieds ruisselant de sang. L’esclave s’est violemment contracté en relevant les jambes dès les premiers aboiements. Elle a hurlé “ Jésus, mon Dieu, protégez-moi ”. Mais rien ne peut interrompre le jeu cruel, et la foule attend patiemment l’inexorable. Dès que les pauvres pieds sanguinolents retombent, des mâchoires claquent dans le vide. A ce jeu épuisant, chaque secousse constitue une nouvelle torture indicible pour les seins empalés. Les déchirures des glandes se sont progressivement accentué, et des flots écarlates coulent de la poitrine mutilée. A bout de forces, la jeune et plantureuse chrétienne ne parvient pas à relever assez vite sa jambe droite, dans laquelle les mâchoires du plus gros des molosses parviennent à rester incrustées. Sous les clameurs du public, les seins sont lentement étirés avant de littéralement éclater comme une pastèque trop mûre.

 

Tandis que les chiens dévorent leur proie, les ânes sont maintenant tenus solidement, et un autre orifice leur est proposé. Très prudes, les chrétiennes, solidement attachées maintenant sur les consoles, ne pratiquent pas la sodomie. Alors que les ânes parviennent difficilement à loger la pointe de leur membre dans les anus resserrés, des légionnaires se placent derrière eux et les fouettent violemment. Les chrétiennes se sont évanoui ensemble.

           

Le hurlement de Livia a frappé Agathe au fond de son cœur. Elle n’a pu s’empêcher de regarder la tour en frémissant. Son ventre se contracte en imaginant ce que ressent Livia. Affolé sous les brûlures, le nuisible cherche à s’échapper à travers l’issue naturelle qu’il a reconnu. Il creuse de ses griffes irrégulières le trou que ses dents ont élargi. Il patauge dans le sang et étouffe un peu sur le ventre dont les spasmes fous l’empêchent de trouver son équilibre. Dans cette lutte atroce, Livia perd progressivement ses forces, mais le rat ne vaut guère mieux. Il s’acharne à fouir, dévore les lambeaux de chair faits pour les caresses les plus délicates, et devient aussi fou que Livia sous la brûlure permanente du tisonnier. Les hurlements de folle de Livia se prolongent un court instant après que le prédateur ait cessé de bouger, puis cessent d’un seul coup. Agathe s’est mordu le poing et pleure.

Après quelques gifles, les chrétiennes émergent du néant bienheureux. Elles ont été abandonnées sur les tours. Elles sont en train de gémir et de récupérer doucement lorsque les dogues sont lâchés. Quand ils envahissent les plate-formes, chaque chrétienne se jette par dessus les tours. En position de tortue, boucliers sur les têtes et pilum pointé en l’air, les légionnaires arc-boutés sur les genoux embrochent les corps des martyres.

 

- Les gladiatrices

 

Sophonia et Cécilia n’ont pas assisté à la fin atroce de leurs proches. Leur physique découplé leur a valu d’être retenues pour l’un des combats à mort. Les sadiques patriciens ont particulièrement apprécié qu’elles soient également sœurs. Dans la cellule réservée aux gladiateurs, Lentulus Batiatus, le latifunda propriétaire de la fameuse école de gladiateurs de Capoue, tente de leur enseigner les rudiments de leurs armes. Deux esclaves aux torses nus huilés et couturés de cicatrices l’accompagnent, les bras chargés par leurs tenues de combat. Pour l’heure, Sophonia et Cécilia se sont blotties dans un coin de la cellule. Elles sont restées enlacées à ressasser la terrible sentence de Regulus qui résonne encore à leurs oreilles. Elles ont accepté, oui, elles ont fait le choix de se combattre, chacune espérant donner à l’autre une mort prompte au lieu de l’abominable supplice réservé à celle qui sortira vainqueur de leur duel à mort.

Chacune caresse le visage de l’autre et essuie les larmes ruisselantes en la rassurant. Puis, fières et courageuses, elles se redressent et s’embrassent longuement. Dans une sorte de halo fantasmagorique, elles se sont laissé parer de leur équipement par les esclaves, enivrées par la puissante odeur de musc qui émane de leurs biceps saillants. En se tenant par la main, elles ont franchi la herse monumentale qui vient d’être relevée devant elles. Elles clignent des paupières, brutalement éblouies par l’intense réverbération qui jaillit du sable presque blanc, puis cherchent d’un regard affolé la loge impériale.

Elles n’ont plus conscience d’être nues sous leur armure, mais Sophonia est gênée de sentir ballotter ses seins pleins et fermes en forme de poire. Ses grands mamelons très bruns sont visibles depuis les tribunes les plus élevées et suscitent des sifflements admiratifs des hommes les moins discrets. Lentulus Batiatus les exhorte de la voix, tandis que retentit un concert de tubae et de tambourins. A pas lents, le cœur bouleversé par les insultes et les cris de joie de la foule, elles cheminent à pas comptés et hésitants, car leurs chevilles bronzées émergent difficilement du sable presque mouvant. Puis, leurs pas gourds s’affermissent lorsqu’elles se rappellent les dernières paroles d’Agathe “ Mourez dignement, mes sœurs, comme des chrétiennes, et pardonnez-leur comme Jésus a pardonné avant nous ”.

Chacune jette maintenant un œil naïf sur l’armement de l’autre. Tout ce qu’elles ont retenu, c’est que Cécilia avait l’armement d’un rétiaire, composé d’un lourd filet de pêcheur et d’un trident, dont l’usage sera particulièrement adapté à son corps élancé et harmonieux. Cheveux courts, port royal d’un visage fin et allongé aux lèvres très rouges, elle semble prête à dompter avec grâce un fauve avant de l’immobiliser et de le transpercer. Elle est simplement vêtue de braies pectorales, nue sous la ceinture et révélant comme une cible idéale une large toison sombre qu’elle ne songe plus à cacher en serrant les jambes.

Sophonia, plus râblée, avec un large visage aux yeux rieurs, est simplement habillée d’une ocrea, sorte de jambière qui descend sur ses cuisses depuis son entrejambe, en camouflant légèrement sa pilosité blonde et soyeuse. Elle serre maladroitement ses armes, le lourd bouclier en cuir et le grand glaive du mirmillon, qui vont parer les coups de trident et couper le filet aux larges mailles. Il s’agit là du duel le plus classique auquel la foule soit habituée.

Elles sont enfin parvenues devant la loge de Néron et de sa suite, pour pouvoir prononcer d’une seule voix la formule rituelle :

- “ Ave, Caesar, moriturae te salutant ”.

Une émotion inconnue les a submergé tandis que les lazzis faisaient place aux applaudissements. Elles ne peuvent retenir de nouvelle larmes en murmurant :   

- “ Pardonne moi, je t’en supplie, car je dois te tuer ”.

- “ Je te pardonne, comme tu dois le faire aussi, car je veux t’éviter cette mort atroce ”.

- “ ADIEU ”.

- “ A dans quelques minutes ”.

 Inconsciemment, elles viennent de s’écarter l’une de l’autre. Alors que les bucinae martèlent des notes claires et tranchantes, elles ont redressé avec des gestes pathétiques leurs armes. La sueur coule de leur front altier, que l’orage du combat gagne progressivement pour le plus grand bonheur des spectateurs. Yeux dans les yeux, leur posture s’affermit tandis qu’elles décrivent un cercle qui se rétrécit peu à peu.

Le cœur d’Agathe et des trois dernières actrices bat aussi fort que le leur. Ce ne sont plus des sabres de bois et des boucliers de carton, dont le ballet était rythmé par la férule de Paulus Gracchus, le directeur de la petite troupe, qu’il s’agit maintenant. Elles ont bloqué leur respiration lorsque Sophonia a porté le premier coup de glaive. Elle a légèrement tranché le filet, mais pas dans ses œuvres vives, en évitant facilement la riposte du trident dardé sans conviction par Cécilia. Elle a pu, dans ce bref contact, mesurer combien les mailles lestées de plomb pouvaient constituer un piège redoutable. Son second coup de glaive a légèrement effleuré la hanche de sa sœur.

Elles se sont arrêtées devant le premier sang, comme assommées par leur propre violence :

·        “ Mais…tu as vraiment voulu me tuer ! ”.

·        “ Oui, comme toi…Oh, laisse moi t’aider à partir la première, je t’en prie… ”.

Sophonia est repartie à l’assaut. Les gouttes de sang carmin qui mouchètent le sable ont réveillé Cécilia de sa léthargie hypnotique. Le harpon choque durement le bouclier tandis que le filet a volé à la rencontre des chevilles. La foule a rugi son plaisir quand Sophonia a sauté à pieds joints, comme lorsqu’elles jouaient à la marelle. Ses seins ont douloureusement choqué son bouclier, et elle se rejette en arrière pour reprendre ses esprits. Cécilia la poursuit en moulinant avec son harpon, mais Sophonia met soudainement un genou en terre et fait opposition avec son bouclier. Emportée par son élan, Cécilia s’est rattrapé en faisant un grand écart sur le sable. Elle a été gratifiée au passage d’un coup de taille brûlant dont le tranchant dévié par le harpon a glissé sur son fessier. Complètement réveillée maintenant, elle se sent brutalement humiliée telle une écolière, d’autant plus que le sable, insinué dans sa vulve humide dont les lèvres sont resté imperceptiblement écartées, la démange atrocement.

Dans un réflexe incontrôlable, elle a dardé le trident en trébuchant droit devant elle. L’une des pointes meurtrières vient d’érafler profondément la base du sein droit de sa sœur. Leurs sangs mêlés, sang carmin contre sang vermeil, s’entrecroisent maintenant en curieuses figures géométriques ciselées par les attaques et les ripostes. Elles rompent, se fendent, croisent leur fers en ahanant comme de vrais gladiateurs dans ce duel sublime qui crucifie les autres chrétiennes.

La chaleur et la vue du sang les ont progressivement transformé en véritables tigresses, la bouche ouverte, le souffle court.

Sophonia perd pied la première, son bouclier de plus en plus lourd au bout de son poignet ne se relève plus aussi vite sous les coups de boutoir.

La plèbe a poussé un cri soudain lorsque les pointes acérées du trident ont éperonné son opulent sein gauche. Le cœur a été à peine effleuré par la transfixion, mais un bouillon de sang submerge le sable doré lorsque les pointes ébarbées se retirent en lacérant profondément les tissus adipeux et une partie des lobules de la glande mammaire.. Sophonia s’écroule lentement à terre, presque sous les barreaux de la prison, comme si elle jouait dans une mauvaise pièce. Elle a porté la main à son sein avec un long hurlement de souffrance pour retenir sa vie qui s’écoule à flots. Elle gît face à Agathe et ses sœurs, puis trouve la force de ramper lentement jusqu’à la grille, pendant que Cécilia a jeté ses armes pour s’agenouiller et prier en attendant ses bourreaux .

Le bras d’Agathe a jailli à travers la grille pour soulager son calvaire, mais la main de Sophonia retombe lourdement avant qu’elle n’ait pu la saisir pour l’accompagner dans l’obscurité qui l’envahit. 

Ce sont deux des plus vieux centurions qui prennent Cécilia sous les aisselles avec une douceur surprenante. Elle se laisse faire, car elle déjà quitté ce monde dans sa tête. Elle se place elle-même au milieu de la croix de Saint-André, peinte en noir et dressée au centre de l’arène.  Ecartelée horizontalement entre les montants sur lesquels elle a été ligotée, elle n’a cure du spectacle qu’offre sa fente béante et souillée. Elle n’entend pas les commentaires obscènes des hommes et ne voit pas les moues de dégoût des patriciennes. Elle entend à peine un chariot traverser l’arène, elle ferme les yeux lorsque des esclaves installent leur matériel. Lorsque le silence se fait, quelque chose au-dessus de sa tête lui masque le soleil. Un gigantesque encensoir est pendu au bout d’une chaîne fixée sur un portique ambulant. Le souffle d’un foyer de braises incandescentes pique légèrement ses narines et, tournant la tête, elle aperçoit un grand chaudron dans lequel elle entend distinctement bouillir un liquide.

Lorsque les centurions plongent chacun une grande louche dans l’huile bouillante, Cécilia pousse un cri farouche devant la révélation de son destin atroce :

- “ NON, NON, NON, NOOOOOONNNNNNN, Je ne veux pas !!!!AGATHE, j’ai peur, arrêteeeeeez ”. 

Agathe a hurlé en même temps qu’elle. Elle voudrait pouvoir partager son supplice et diviser sa douleur. Un court instant, elle croit ressentir dans sa propre chair les centaines de piqûres grésillant sur la peau de la jeune chrétienne. L’un des centurions verse continuellement de l’huile dans l’encensoir tandis que l’autre tourmenteur le pousse avec un lent mouvement de balancier pour asperger soigneusement tout le corps magnifique de la jeune martyre. Il s’est esclaffé avec un gros rire de soudard:

- “ Tiens, ma fille, moi aussi je te bénis ”.

 Les gouttes d’huile crépitent sur la peau brillante. La foule écoute dans un silence religieux les gémissements insensés qui ont succédé aux hurlements démentiels. La voix brisée, Cécilia ne peut que se tordre vigoureusement dans ses liens, sans pouvoir échapper aux brûlures ravageuses, mais pour le plus grand plaisir des romains fascinés par les déhanchements lascifs de son corps élégant. Les plaintes incessantes sont entrecoupées par le clapotement de nouvelles gouttes visqueuses qui mordent dans la chair tendre des cuisses, de la vulve, des aisselles aux poils fondus, des bouts de sein couleur de caramel érigés par l’angoisse et striés de marques rouges. La poitrine faite pour l’amour est petit à petit ravagée par de profonds cratères, la peau éclate en dessinant des reliefs byzantins lorsque l’huile en fusion revient tarauder les mêmes plaies vives.

Lorsque le derme de la jeune martyre est entièrement ruiné, les soldats relèvent la croix, tel un gisant de pierre. La foule a poussé un “ oh ” d’étonnement, car le corps sanguinolent qui leur est présenté ne mérite plus le nom de femme. Tandis que l’un des centurions cale la croix dans un trou profond, l’autre s’est emparé d’un fouet en plumes de casoar. Ainsi, les lamelles de peau pendante sont arrachées délicatement par un simple effleurement. Le centurion est un expert de son instrument dont il joue comme un musicien de sa lyre. Il pourrait prolonger indéfiniment le supplice qui a suffoqué Cécilia. Sous cette fouaillée ténue qui n’arrache pas les chairs, la peau des cloques et des ampoules disparaît par menus lambeaux, mais la finesse de l’abrasion des innombrables terminaisons nerveuses à vif constitue un tourment bien plus terrible. Elle est en état de choc, alors que Néron a interrompu son repas pour la première fois depuis trois heures. Il a tenu à ce que les deux centurions particulièrement inventifs soient récompensés de mille sesterces chacun.

Le soleil s’est caché derrière la Porte Triomphale. Certains commencent à se lever, d’autres préfèrent assister au relèvement de la croix par quatre esclaves. Un vol de corbeaux s’est posé sur le hauban d’une vela. Ils attendent que le corps de Cécilia ait été déposé sur l’une des turris.

Agathe s’est rejeté en arrière en bouchant ses oreilles. Elles sait qu’une longue nuit sans sommeil vient de débuter.

 

Chapitre IV A l’aube du quatrième jour .

 

- dans l’horreur de la nuit

 

Les hurlements insupportables de Cécilia ont vrillé leurs oreilles toute la soirée avant de se transformer en pleurs lancinants, puis en gémissements inaudibles. Elles ont tout vu sans pouvoir intervenir, repoussées dix fois, vingt fois des grilles par les lances des légionnaires. Elles ont du assister à l’atroce curée, au spectacle de la mutilation progressive de ce corps parfait lacéré par les coups de bec mécaniques. Le vol noir qui s’est abattu sur la plate-forme a cessé de tourbillonner après que les prédateurs les plus redoutables aient trouvé leur morceau de prédilection. Cécilia a très vite perdu ses yeux, éclatés en gelée sanguinolente qui perle sur les plumes lisses. Elle ne sait plus où le prochain impact portera et elle hurle sans retenue. Dans le halo rougeâtre des torches, les corbeaux soulèvent de temps à autre sur les derniers spectateurs présents, un œil à la fixité inquiétante. Les becs orangés sont nappés d’un sang vif dont les gouttes s’évadent lorsqu’ils secouent la tête pour rattraper des lambeaux de chair qui leur échappent. Ce sont bien sûr les parties les plus tendres du corps qui ont été déchiquetées les premières. Les bouts de sein étaient une offrande qui le disputait à l’invitation du sexe béant et des cuisses diaphanes. Après les premières mutilations du corps arqué, la statue de chair vive a constitué un sémaphore pour toutes les bandes de corbeaux qui nichent dans la ville et viennent se succéder pour continuer de décharner le corps de la céleste vierge.

 

Au petit matin, les chrétiennes ont pu voler quelques minutes de sommeil, qui ont accentué leur hébétude sans les reposer pour autant. Elles se comptent et se recomptent en silence, chacune se maudissant d’espérer qu’elle ne sera pas appelée la première.

 

Dans l’arène, les esclaves s’affairent à ratisser le sable et à débarrasser la turris des restes de Cécilia. Ils vérifient aussi la solidité de l’ouvrage édifié au dessus de l’euripe, le fossé rempli d’eau qui isole les fauves des gradins des spectateurs.

 

Des bruits de chaînes, des frottements, des rugissements, attestent de l’éveil du ventre de l’arène.

La journée sera terrible, puisqu’une dizaine d’entre elles seront livrées en pâture aux éléphants et aux buffles, tandis que d’autres seront crucifiées ou directement torturées.

Agathe est presque épuisée, elle a vécu chaque supplice comme s’il s’agissait du sien, elle a insulté les romains et reçu un coup de fouet qui zèbre encore son beau visage terrible, accentuant la flamme de son regard. Maintenant, elle ne lutte plus, elle ne relève même pas la tête quand les centurions viennent prélever leur infâme tribut. Elle sait de toute manière que son heure n’est pas venue, que Regulus l’a choisie pour être le clou du spectacle, et qu’elle devra subir comme un châtiment supplémentaire d’assister aux tortures de toutes ses amies.

Certaines parmi ses sœurs ont encore la force de se rebeller, dans une tentative poignante pour reculer l’inéluctable échéance. Le claquement des fouets surpasse bien vite les gémissements et les supplications. Certaines chrétiennes qui avaient pu préserver un lambeau de vêtement, se voient arracher le dernier vestige de leur pudeur. Elles doivent maintenant attendre, droites, les mains le long du corps, sous peine d’être fustigées quand elles tentent de dérober aux regards

salaces leurs fentes et leurs pauvres seins meurtris par les coups et la torsion des poignes pendant les viols.

 

- Les romains s’amusent.

 

La plèbe est venue de bonne heure réveiller les murs de l’enceinte assoupie. C’est une journée encore plus chaude qui s’annonce, et les hommes ont pu remplir leurs gourdes du vin épais offert par les intendants du palais impérial. “ Du vin et des chrétiennes suppliciées, il fait bon vivre sous Néron ”, chantent des gosiers assoiffés. Les femmes sont en tenue légère, dans des tissus aux tons battus presque transparents, simplement rehaussés de bijoux aux gemmes rutilantes et de voiles aux couleurs vives. Les robes les plus scandaleusement échancrées sont de sortie aujourd’hui, comme si l’atmosphère de sensualité préludait à une gigantesque orgie. Même les vieilles femmes sentent qu’elles auront leur chance au milieu de tant de mâles à la lubricité exacerbée par les tortures.

Le héraut entre en grandes pompes dans l’arène sous le martèlement des cymbales. Après avoir obtenu le silence d’un geste solennel, il déclame le sinistre programme avant de laisser place aux habituels spectacles de jonglerie. Pendant que des funambules passent d’une turris à une autre en marchant sur des filins, les mains solidement accrochées à leur perche, le traditionnel défilé des licteurs, dont les haches parées d’un faisceau de verges sont parfaitement alignées, va présenter ses hommages aux premiers magistrats de Rome.

Dans la loge patricienne, Clodia baille sans chercher à dissimuler son ennui à son époux, le sénateur Marcus Gaius ; de guerre lasse, il se tourne vers leur amie Fulvia et reprend leur diatribe inachevée sur la dernière pièce à la mode. Ils ne savent pas qu’ils vont revoir Agathe et ses sœurs qui les ont tant charmés une semaine plus tôt.

 

Les instruments se sont tus. Dans ce moment solennel, les conversations se sont arrêté, car chacun va s’intéresser au visage et au corps des suppliciées et savourer par anticipation le châtiment qui leur est réservé.

Deux chrétiennes s’avancent en chancelant sous les coups de fouet.

Clodia sursaute et se tourne vers son époux en se levant à moitié  :

- “C’est répugnant ! Ne peut on recouvrir le sexe de ces malheureuses ? Qu’on leur donne au moins un subligar, sinon je m’en vais ”. Gêné, Marcus détourne la tête en sifflant entre ses lèvres :

 - “ Tu n’en feras rien. Pas question de se faire remarquer sous les yeux du fou qui nous gouverne. Tu fais semblant de regarder et d’applaudir, mais tu te rassieds et tu restes ”.

Vaincue, mais pas soumise, Clodia se rassoit en faisant semblant d’arranger sa robe :

“ Dès que ces maudits jeux seront finis, ne me refuse pas une nouvelle fois d’aller passer un mois entier dans notre villa de Capri ! ! ”.

 

- Les éléphants de combat

 

Un barrissement prodigieux passe sous les colonnes de la Porte Triomphale. Les yeux de la foule se partagent entre l’arrivée des éléphants d’Afrique et la flagellation des jeunes chrétiennes. Elles courent dans l’arène pour échapper au long fouet coupant des centurions. Au nombre d’une dizaine, ils ont acculé au pied d’une des turris les jeunes corps dénudés à grands coups de fouet. Les longues lanières aux bords biseautés cinglent sans répit les dos, les fesses et les seins moelleux que leur présentent alternativement les deux jeunes femmes. Folles de douleur, elles tentent d’amortir les cinglées atroces des mèches en cuir de rhinocéros en changeant continuellement de position. Pour le plus grand bonheur de la foule et particulièrement des anciens esclaves, elles semblent rebondir en permanence sur le sable, debout ou couchées, se tortillant comme des vers au bout d’une ligne en clamant leur innocence, en pleurant pour un peu de pitié. Le torse marbré de traînées purpurines, elles gisent enfin pantelantes dans le sable. Elles sont à peine conscientes d’être soulevées tandis que le sol tremble sous leurs corps. Elles clignent des yeux pour distinguer l’ombre qui a envahi le ciel au-dessus de leurs têtes. Les trompes des deux vieux mâles s’élèvent telles des tubae pour clamer un défi qui résonne longuement parmi les gradins. Les cornacs font agenouiller les éléphants de combat, rompus à la discipline militaire, et dont les pattes ont réduit en pulpe sanglante tant d’adversaires de Rome. Les jeunes chrétiennes ont trouvé la force de prier, et dans leur cellule, les autres martyres les accompagnent tandis qu’elles sont attachées aux têtières qui ceignent le crâne profond des éléphants. Les immenses oreilles claquent, énervées par ce fardeau supplémentaire qui obscurcit presque totalement la vue des pachydermes. Après les avoir éloignés l’un de l’autre d’une cinquantaine de mètres à coups de pique, les cornacs se sont laissé glisser le long de leurs flancs.

Les éléphants se voient à peine, mais se cherchent tout de suite. Après un long barrissement agressif qui leur a permis de s’orienter, ils se meuvent pesamment sous les cris de la foule. Ils chargent avec la colère aveugle qui caractérise ces duels à mort. Les défenses acérées se sont choqué dans cette première passe d’armes. Tels des chevaliers ayant rompu la première lance, ils se sont jaugé. Les trompes frémissantes retombent lourdement lorsqu’ils s’ébranlent plus lentement pour ne pas se dépasser. Juchées sur le casque de combat brûlant, leurs pieds poussant désespérément sur le sommet de la trompe rugueuse, les jeunes vierges ont fermé ensemble les yeux. Le choc tête contre tête a été terrible, broyant irrémédiablement les jambes des jeunes martyres. Des chairs éclatées sourd des rigoles de sang qui aveuglent et excitent davantage les pachydermes. Les mastodontes ont pris solidement appui dans le sable et poussent tête-bêche. Les hurlements de douleur indicible des martyres se mêlent aux barrissements sauvages. Les têtes des éléphants s’inclinent de plus en plus bas tandis qu’ils s’enfoncent davantage dans le sable. Parfois, la foule discerne l’éclair blanc d’une défense qui se dégage de l’enchevêtrement de carapaces et de chairs éclatées. Elle trouve toujours son but, lacérant un peu plus à chaque fois les pauvres corps suppliciés. Encornées, écrasées, les jeunes chrétiennes se sont déjà tues depuis longtemps lorsque l’un des mastodontes s’effondre lentement sur le flanc. La foule est restée longuement abasourdie, non par pitié ou regrets, mais à cause de la puissance monstrueuse dégagée par cette joute d’un autre âge qui a semblé fissurer les enceintes de l’arène. 

 

Le vainqueur du duel est délesté de la masse de chair informe qui dessine un hideux cataplasme sur son front. Le cadavre du vaincu attelé à ses flancs puissants, la montagne de chair dégage majestueusement les lieux.

 

- duel de chars

 

A l’autre bout de l’arène, deux jeunes nourrices dont la vêture a été épargnée, ont fait leur apparition. Des bandelettes de lin soulignent la fréquence de leur allaitement. Elles avancent comme éteintes, prêtes à mourir, tout à la douleur d’avoir perdu leurs nouveaux nés embrochés par les légionnaires. Leurs seins débordant de vie sont douloureux de n’avoir pas rempli leur fonction nourricière depuis quatre jours. Le lait goutte des bandelettes, à leur grande honte.

 

Agathe n’a jamais enfanté, mais elle mesure parfaitement ce que doit être ce poids qui les accable. Elle sursaute ! Regulus est à ses côtés. Le fourbe est entré discrètement dans la cellule, pendant que les chrétiennes étaient absorbées par le combat épique. Il murmure discrètement à son oreille “ Tu ne trouves pas que ces pauvres chrétiennes sont ridicules avec leurs grosses tétasses pleines de lait qui pendouillent ?”. Agathe est interloquée par cette nouvelle familiarité qui détonne complètement avec leurs derniers propos. Avant qu’elle ait pu ajouter un mot, Regulus ajoute “ Puisque leurs seins ne leur servent plus à rien, Néron, dans son impériale bonté, a décidé de les en soulager ”. Il a pris fermement le menton d’Agathe entre ses doigts pour détourner implacablement son regard en direction des deux trigae qui viennent de débuter un tour d’honneur, qui sera bientôt un tour d’horreur.

 

L’action se précipite très vite lorsque les deux jeunes mères sont brutalement saisies. Après une courte mêlée, elles sont présentées nues à la foule au bout des bras des robustes centurions, qui les tiennent fermement sous les aisselles. Les jambes battantes révèlent à l’envi les vulves roses cachées par les buissons très bruns. Les centurions se plaisent à tourner leurs proies de tous les côtés de l’arène, soulevant les fortes mamelles, les pressant pour faire jaillir le lait crémeux en léchant leurs doigts. Ils expliquent à tour de rôle comment les auriges vont procéder.

 

Les conducteurs de chars sont précisément en train de parader. Ils portent un casque chamarré de plumes exotiques, avec des visières largement ouvertes. Les torses puissants sont nus, mais les avant-bras sont recouverts de brassières de cuir aux couleurs des deux plus grands quartiers de Rome. Leurs fins destriers de sang arabe semblent déplacer le char sur un nuage de poussière. Des parieurs soupèsent le poids des drachmes dans leurs bourses en jaugeant le meilleur équipage. Tous ont noté avec soin les deux grandes faux qui jaillissent perpendiculairement devant les roues, juste sous le hayon des chars. Les lames impitoyablement acérées jettent des éclairs flamboyants lorsqu’elles réfléchissent le soleil qui arrive à son zénith. L’un des auriges se taille un joli succès lorsqu’il décapite un piquet en bois au terme d’une course habile.

 

Les centurions ont reposé leurs victimes devant deux croix de Saint André plantées très bas sur le sol, écartées parallèlement à la loge de Néron d’une vingtaine de pas. Les chevilles et les poignets des jeunes nourrices ont été attachés, au bout de très longues cordes, à quatre larges mâts en bronze solidement fichés dans le sol. Afin de maintenir parfaitement rigides le corps des chrétiennes, face au sol, les centurions ont introduit des tourniquets pour resserrer leurs liens. Les pauvres martyres ont commencé de gémir sous l’atroce pression qui les écartèle, tandis que leurs seins, pendant tels des pis, sont présentés à la luxure de la populace. Elles sont bientôt entravées si étroitement que les nobles mamelles interrompent leur sensuel balancement.    

 

Sera déclaré vainqueur celui qui le premier aura tranché deux seins sans avoir rompu sa faux sur les pieux de bronze…

 

C’est Néron qui a baissé le bras pour donner le départ de la course démoniaque. En conducteurs expérimentés, les auriges ont claqué du fouet la croupe des pur-sangs pour les mettre au trot. Il va s’agir de ne pas aller trop vite pour pouvoir manœuvrer le char, sans être distancé pour autant. A peu près à la même vitesse, les deux chars se sont présenté en même temps aux abords des croix. Ils ont imperceptiblement ralenti pour dévier leur course. Coup manqué pour l’un, simple effleurement du torse pour l’autre. Une clameur collective a salué le premier sang. Rapidement, à l’autre bout de l’arène, les auriges descendent de leur trigae pour procéder à quelques réglages, des roues pour l’un, de la faux pour l’autre. Puis ils repartent presque simultanément, très vite. Leur ronde infernale est mieux affirmée, ils passent plus vite, plus près. Les lames semblent déchirer l’air incandescent. Un cri atroce s’élève. Une mamelle a été profondément tranchée, et un sang vermillon arrose largement le sable sous le ventre de l’une des chrétiennes.

Le troisième tour va entraîner immanquablement la dichotomie d’au moins un sein, tous les spectateurs en sont convaincus et ils retiennent leur respiration dès le début de la reprise.

 

Seule, Calpurnia mange tranquillement une pomme, sans manifester la moindre solidarité de sexe à l’égard des jeunes suppliciées. Drusilla détourne la tête, presque choquée d’entendre ses dents croquer gaiement dans le fruit acide.

 

Très vite, un premier sein gît sous les flancs d’une chrétienne, arrosé par une fontaine de sang carmin. Les cris atroces de la jeune chrétienne sont étouffés par les félicitations de la foule. Le second aurige ne tarde pas à se distinguer à son tour, sa faux, habilement présentée après avoir évité le piquet de bronze, tranche dans la chair vive et parachève l’ablation du sein déjà entamé.

Quelques secondes après, faisant fi des hurlements d’agonie des jeunes nourrices, les auriges raccourcissent en même temps les deux autres mamelles.

Est donc déclaré vainqueur celui qui a tranché le premier sein. Les jeunes femmes se sont heureusement évanoui, elles ne voient pas leurs seins exhibés devant la foule sur les boucliers d’argent tenus à bout de bras par les auriges. Les superbes appas qui ornent le secutor, le grand bouclier des mirmillons, semblent l’offrande à l’appétit de la foule de quatre beaux fruits juteux nappés d’un grain de raisin.

Drusilla contemple avec une fascination horrifiée son voisin, un vieillard avec le nez busqué d’un autour. La glotte de son cou décharné de poulet, recouvert d’une maigre chaume blanche mal rasée, se soulève spasmodiquement tandis qu’il fixe les seins complaisamment promenés sous ses yeux.

 

- le sacrifice magnifique

 

Agathe ne croit pas ce qu’elle a entendu. Regulus répète doucement qu’il est prêt à épargner les dernières chrétiennes si elle lui fait don de son corps. Elle secoue la tête, incrédule, c’est un piège, elle ne le croit pas. Des sentiments confus l’agitent, alors qu’elle se sent encore attirée physiquement par lui. Elle pourra peut-être le tuer, ou faire évader les filles, ou les aider autrement en plaidant leur grâce auprès de Néron…Puis, très vite, elle se décide. Tout vaut mieux que rester dans cet enfer. Elle refuse la main que lui tend Regulus et sort en le précédant. Les chrétiennes lui font une haie d’honneur, car elles pressentent que la jeune femme va se sacrifier pour elles. Certaines s’agenouillent et baisent sa stola. Agathe rougit et les relève en caressant leurs tresses.

 

Elle se tient nue devant Regulus. Il contemple un long moment le corps magnifique qu’il a rêvé de posséder dès le premier instant. Il peut tout demander, tout obtenir. Il sait qu’elle est vierge, et qu’elle va découvrir avec lui l’amour, la douleur et l’humiliation en même temps. Il lui ordonne de se tourner, car il ne veut pas l’embrasser, ni voir ses grands yeux fouiller son âme. Il lui commande en termes crus de se baisser et d’écarter ses cuisses en posant les mains sur un banc. La chambre de repos des gladiateurs n’a jamais connu plus belle femme. Les prostituées ont imprégné les tentures pourpres des senteurs de leurs lourds parfums, qui se mêlent aux remugles de fauves en rut exhalés par les forçats de l’arène.

Il caresse longuement la cambrure parfaite qui tressaillit. Agathe ne peut empêcher une vague de désir de la submerger, malgré la posture humiliante que l’assassin de ses sœurs l’a obligée à prendre. Lorsque ses aisselles sont doucement effleurées par des doigts fins et expérimentés, elle ferme les yeux en se mordant la lèvre. Les mains de Regulus se referment bientôt en conque sous ses seins. Elle ne peuvent que soulever doucement les vastes mamelles et jouer avec les pointes oblongues. Lorsqu’elles sont devenues très dures, Agathe attend comme un soulagement la pénétration du glaive parfaitement rigide entre ses grandes lèvres. Elle a tout oublié pour l’instant, au moment de se découvrir femme. C’est elle qui a écarté davantage les cuisses pour happer plus profondément le membre viril. Elle provoque elle-même sa défloration en s’empalant brutalement alors que Regulus était encore en train de jouer avec l’ouverture de sa vulve. Elle sait que son sang mêlé à ses sécrétions intimes dégouline le long de sa jambe, mais elle n’en a cure, attentive à la montée de son premier orgasme de vraie femme.

La jouissance fulgurante la submerge tandis que Regulus s’est contenté de laisser fichée son arme dans ses entrailles sans participer plus activement. Lorsque Agathe se redresse au bout de longues secondes, le souffle court, honteuse d’avoir feulé son plaisir par une journée aussi tragique, elle trouve pointée devant son nez la colonne de chair turgide maculée par ses propres souillures. Elle sait ce qui est maintenant attendu d’elle, elle ouvre la bouche pour protester quand elle entrevoit, pendant à la ceinture du commandant de la garde impériale, les clés de leur cellule. Telle une prostituée, elle referme doucement ses lèvres sur le gland suintant. Elle sait qu’elle va devoir conduire le centurion aux portes de l’oubli total pour dérober les clés de leur liberté. Choquée par l’âcre senteur du pénis recouvert de son propre sang, elle s’imagine courtisane égyptienne, dispensant de suaves baisers à Pharaon sous l’ombre de quelque palmier exotique. Elle embrasse amoureusement les testicules qu’elle a soulevé dans sa main gauche. Sa main droite caresse le flanc de Regulus, tandis que sa langue s’active le long du filet, qu’elle nettoie longuement. Regulus a pris sa tête par les cheveux pour l’écarter lorsque les frissons de plaisir qui le submergent deviennent insupportables.

Agathe s’est habitué au goût de fruit de mer très salé qui l’a submergé lorsque les premières gouttes de liquide séminal se sont ajoutées à son propre sang. Maintenant, elle prend du plaisir à manipuler la verge de marbre comme si elle allait la traire avec son poignet gauche dans sa propre bouche. Sa main droite continue de remonter doucement en direction de la ceinture de son ennemi. Le sexe dilaté commence maintenant à marteler le fond de sa gorge car Regulus ne peut plus attendre pour se libérer. Son instinct de femme sensuelle la pousse à aspirer irrésistiblement pour accueillir la sève. Sa main s’est refermée sur la clé avec un contrôle admirable de ses sens. Elle pompe fortement une dernière fois l’âme de Regulus, qui se rend tête en arrière avec un long cri étouffé. Agathe introduit prestement la clé au fond de son réceptacle naturel dont l’hymen déchiré ne constitue plus un obstacle.

Quand elle relève la tête, toute honte bue, elle lit le mensonge dans le regard pétillant de sadisme de Regulus.

“ Conduis-moi à Néron pour que je demande grâce pour mes sœurs, au moins ”.

“ J’ai bien peur que Néron ne soit pas visible en ce moment, il est au milieu de son repas. Si on le dérangeait, je crains que des supplices plus terribles ne vous attendent ”. Il n’a pu s’empêcher de rire de son bon mot. Agathe le hait froidement, même si une part de lui est comme incrustée au fond de sa matrice. Elle se retient de se jeter sur lui pour ne pas perdre sa clé. Elle dit simplement : “ Romains, vous êtes des monstres ”. Regulus précise sombrement “ Non, nous sommes simplement les maîtres du monde ”.

 

- la fin des amantes

 

Lorsqu’ils redescendent dans la cellule, des murmures saluent le courage d’Agathe, les femmes savent ce qu’ont juste deviné les jeunes filles. Agathe n’est plus vierge, mais le sacrifice de sa pudeur n’aura servi à rien, car Regulus vient d’inviter deux nouvelles combattantes à le suivre.

 

Casilda et Elagia se désignent du doigt. Elles refusent de croire ce qu’elle ont entendu. Les opposer dans un combat à mort est absurde, elles ne peuvent seulement pas l’envisager. Elles se cachent le visage pour masquer leur douleur et leur peur. Agathe a le temps d’essuyer leurs larmes juste avant que les gladiateurs de Lentulus Batiatus ne s’emparent des pauvres victimes pour les préparer.

Dans la chambre d’appel, elles sont entièrement dévêtues avec cérémonie, honneur soit rendu aux combattantes même si ce ne sont que de misérables corps tremblant de peur et de froid. Les deux amantes, les yeux brouillés de larmes, voient le corps tant aimé de l’autre souillé par les regards des velus, la gente oppressive et honnie. Les vulves si souvent caressées semblent écarlates de honte, les seins de taille moyenne mais finement dessinés sont dressés pour un combat qui ne sera plus amoureux. Regulus a apprécié en connaisseur les corps harmonieux faits pour l’amour et sait que le spectacle sera de qualité. Avec perversité, il rappelle que Néron peut gracier le vainqueur d’un beau combat si la foule le demande.

Casilda et Elagia, butées, continuent d’entendre les paroles de Regulus alors que Lentulus Batiatus leur explique le maniement de leur arme. Poussées par la pointe des lances, elles passent sous la herse lugubre et font lentement leur entrée dans l’arène, la sica à la main. Le court poignard au tranchant effilé comme un rasoir est l’arme qui oppose nus les thraces, les vifs natifs de Thessalie, dans des duels à mort sous le regard brûlant des patriciennes dans les écoles de gladiateurs. Casilda et Elagia ne réalisent pas tout de suite que ce sont elles que la foule applaudit.

Elles cherchent stupidement autour d’elles les autres combattants. Quand leurs fesses sont à nouveau piquées jusqu’à ce que le soleil dessine leur ombre immense au milieu de l’arène, elles comprennent brusquement comment leur vie va basculer dans quelques instants. Elles se frottent les yeux, hagardes, les cris de la foule les soûlent, l’éclat des bijoux rutilant parmi toutes les couleurs de l’arc-en ciel les éblouit. Elles tournent en aveugles sur elles-mêmes et finissent par se bousculer. Chacune a eu peur de l’autre en même temps, ce contact les affole, elles se mettent en garde maladroitement. La tête vide, les jeunes corps se révulsent à l’idée de mourir. Tuer pour ne pas mourir est un réflexe avant de penser à tuer pour survivre. Les poignards s’affermissent au bout des poignets, la danse de mort que connaît si bien la foule peut commencer. Elles se tournent vers la loge impériale et prononcent ensemble :

 “ Ave Caesar, moriturae te salutant ”.

 

Clodia a repris un certain intérêt pour le spectacle qui n’est plus la boucherie sordide du matin. Elle se souvient tout de suite des combats que son époux l’oblige à voir de temps en temps à Capoue, chez ce rustre de Batiatus qui la dévore des yeux. Elle trouve assommantes ses explications techniques à son mari, mais elle est fascinée par les longs sexes de fauves qui battent sur les cuisses des combattants, même si elle feint de ne rien en laisser paraître. Marcus Gaius n’est jamais dupe, tant il sait que la nuit prochaine son épouse ne le laissera pas s’endormir avant l’aube. Parfois, une coupure sur les verges, ces cibles privilégiées, la fait venir, langue collée au palais, lèvre rongée au sang.  Marcus Gaius s’est légèrement relevé de son siège, car il lui a semblé fugacement reconnaître les gladiatrices.

 

Les amantes sont tombé en garde par réflexe, comme tant d’autres gladiateurs avant elles. Les mottes chéries leur apparaissent comme le trou noir de l’enfer dans lequel aucune ne veut tomber. La poitrine de l’autre semble tressauter grotesquement, le goût de leurs baisers leur répugne brutalement. Elles ont soudainement honte de leur différence étalée au grand jour, dont chacune veut punir l’autre. La passion autant que l’ardeur du soleil échauffe rapidement les jeunes corps. La sueur se mélange aux huiles parfumées dont leurs torses ont été oints.

 

Elagia se fend maladroitement la première, et tombe le nez dans le sable sous les rires de la foule. Casilda est restée immobile, incapable de prendre son avantage. Elagia roule à terre pour s’écarter et se relève. Casilda fonce enfin, la sica pointée droit devant elle. Elle éventrerait un ours, mais Elagia s’est dérobé comme devant un taureau furieux, en dardant par réflexe le glaive brillant. La ligne de l’épaule de Casilda est profondément entamée, la clavicule apparaît un court instant avant d’être noyée sous une rigole vermeille. Elle grimace, ploie le genou, et se jette presque, en rampant furieusement, sur celle qui l’aimait hier. Elagia a pu saisir son poignet avant que le fil de la sica s’enfonce complètement dans son ventre. Une plaie profonde lui dessine une ceinture de sang. Elles roulent ensemble à terre, leurs lèvres se cherchent pour se mordre. Elles ont tant exploré leurs corps qu’elles en connaissent les moindres secrets. Les lames des sicae s’incurvent au bout des poignets bloqués pour crever un œil, balafrer la joue qui a tant réconforté, découper les mamelons tendrement aspirés jusqu’à l’aube. Elles hurlent de souffrance et de colère chaque fois que les rasoirs fendent les peaux sous la pellicule de sable ocre.

 

Le spectacle est d’une beauté et d’une sauvagerie exceptionnelles. Nul doute que la foule demandera la grâce de celle qui se relèvera. La lutte se prolonge depuis quelques minutes déjà, et sous les deux furies, la tâche de sang sur le sable s’élargit de plus en plus.   

 

Ce sont maintenant des bêtes parées d’un linceul ensanglanté qui s’entremêlent au milieu de l’arène. De cette fontaine de chair émerge enfin la lame acérée d’une sica. La pointe du couteau se lève mécaniquement pour trancher dans les grandes lèvres dodues d’une fente lacérée. Avec un choc sourd, elle rebondit sur l’os pubien et dévie sur le fragile pistil de la fleur incandescente. Comme au ralenti, la lame s’élève et retombe une dernière fois. Les jeunes corps exsangues mais apaisés pour l’éternité semblent se dissoudre ensemble dans l’arène.

 

La foule applaudit longuement et Néron s’empresse de s’approprier les vivats en se levant et en saluant à son tour.

 

La fin de l’après-midi dessine des zones d’ombre depuis le début des gradins à l’est du Colisée, quand quatre nouvelles chrétiennes sont à leur tour poussées à l’abattoir. Choquées par le combat à mort qui vient de se dérouler, elles remercient Dieu d’avoir été préservées d’un semblable duel et espèrent une mort prompte. Lorsqu’un troupeau de buffles se présente par la Porte Triomphale, elles pressentent que leur mort sera tout aussi atroce et elles s’agenouillent en se cachant le visage.

Les forces leur manquent et elles se laissent dévêtir sans résistance devant les turris. Dos au sol,  leurs membres sont liés à de grandes lanières, les cordes des poignets sont elles-mêmes assujetties sur les pitons en bronze qui ont connu le supplice de leurs sœurs. Plus loin, les liens de leurs chevilles sont fixés au licol d’un buffle. Les huit bourreaux qui vont fouetter les buffles sont dispersés sur toute la largeur de l’arène. Lorsque les mâles s’ébranlent lentement, les corps suppliciés s’étendent prodigieusement, avec un ignoble craquement des jointures. Les hurlements d’agonie se mêlent en une cantate unique de douleur, de pleurs et de suppliques. Les tortionnaires ralentissent la traction des instruments vivants en maintenant totalement rigides les beaux corps dont les vulves béantes sont offertes à la concupiscence de la foule. Quatre centurions s’avancent, porteurs d’épaisses cordes mal dégrossies. Les barbes sont de véritables échardes qu’ils s’appliquent à ne pas saisir tandis qu’ils déposent les cordes par un bout sur les ventres de leurs victimes avant de faire passer l’autre bout sous leurs dos. Ils réunissent la corde par ses deux extrémités puis se reculent de quelques pas.

 

Les femmes dans la foule ont compris bien avant les hommes ce qui était prévu et elles pouffent ensemble pour cacher leur embarras, imaginant par avance les souffrances que vivent les chrétiennes tandis que les légionnaires ont commencé de faire aller et venir leur barbare instrument de torture. Sur un rythme lent afin que les cordes trouvent leur assise dans l’ouverture naturelle, ils tirent alternativement d’une main, puis de l’autre, la corde rugueuse en s’encourageant mutuellement. Ils prennent plaisir à profaner les niches d’amour, eux qui ne connaissent que les plaisirs ancillaires hâtivement consommés.

 

Les légionnaires ont maintenant trouvé un rythme un peu plus soutenu qui permet à la corde de passer plus vigoureusement, usant simplement les muqueuses à vif. Mais cependant, au bout de quelques instants, perlent les premières gouttes de sang chassées par l’infernal va et vient. Malgré l’effroyable traction, des ventres parviennent à onduler dans le fallacieux espoir de soustraire à la morsure des échardes les puits sacrés. Mais, inexorablement, les cordes creusent un sillon fatidique dans l’entrejambe féminin. Les chairs superficielles sont brutalement entamées, les plus graves lésions nappent d’un sinistre rouge à lèvres les vulves ouvertes pour un baiser sanglant. Les capuchons des clitoris, refuges de tant de secrets, disparaissent à leur tour tandis que les chrétiennes hurlent la douleur de la perte de leur féminité.

 

C’est le signal qu’attendaient les bourreaux pour exciter les buffles. Le souffle court, la plèbe reprend ses esprits pour parier sur la première paire de buffles qui arrachera les membres de sa chrétienne. Les esprits ne s’échauffent pas longtemps, car la plus frêle des chrétiennes est rapidement démembrée. Son torse gît à peine sur le sol que ses sœurs l’accompagnent bien vite dans la mort salvatrice.

 

Le maigre repas de gruau et de pain rassis a été à peine effleuré par la poignée de chrétiennes survivantes. Elles gisent prostrées, blotties dans les bras l’une de l’autre. Sulpicia s’applique à les réconforter avec ses mots simples de fille de ferme. Elle soulève la tête des plus jeunes dans ses bras robustes, redresse une tresse, arrange un pli et leur promet de rester près d’elles jusqu’au bout.

Agathe semble pétrifiée dans un coin, les yeux fermés. Quand l’obscurité a totalement envahi l’immonde cachot, à peine éclairé par la lueur d’une maigre torche posée en haut du mur qui fait face à la grille, elle se relève souplement. Elle glisse silencieusement par le côté, penche sa tête à travers les barreaux, et enfile tout doucement la clé dans le pêne. Un déclic sonore résonne douloureusement dans sa tête. Elle retient son souffle quelques instants. Pas un bruit hormis de lointains ronflements. Elle pousse tout doucement la lourde grille, sans l’ébranler d’un pouce. Incrédule, elle pousse encore. Rien. Elle regarde désespérément partout avant de découvrir un second pêne au-dessus de sa tête. Le cœur oppressé, elle enfonce très vite sa clé. Elle force pour la faire tourner. Rien n’y fait. Elle comprend très vite le piège que l’infâme romain lui a tendu. Elle croit l’entendre rire tout là haut dans la loge de César. Elle se retourne et regarde longuement ses sœurs qui l’observent debout sans pouvoir respirer. Elle ont lu le découragement sans bornes sur ses traits fatigués, et certaines étouffent un petit sanglot par respect pour elle. Elle tombe à genoux et pousse un hurlement de haine animale. 

 

Chapitre V – Cinquième jour - une journée ordinaire

 

Des vieillards qui espèrent retrouver un peu de leur vigueur sexuelle si lointaine se sont levé très tôt ce matin. Les patriciennes ont couvert leurs têtes de mitres à l’orientale. Vierges ou dépravées, elles sont toujours venues en chaise à porteurs. Après les naumachies, spectacle de joutes nautiques donné sur l’eau qui a envahi les fossés, tous contemplent la tellam, cette machine de guerre à bascule, orgueil des ingénieurs romains, amenée par les centuries pendant la nuit.

 

Lorsque l’empereur se lève pour imposer le silence aux bucinae, les musiciens reposent leur instrument à vent, les histrions interrompent leur pantomime et tous saluent César avec respect.

 

Avec une moue de sa lippe fate, Néron a harangué la foule déchaînée en louant les vertus guerrières de Rome, et expliqué comment ses ennemies seraient brisées sur les turris

 

Calpurnia s’étonne un court instant des cercles concentriques aux couleurs de l’arc-en ciel dessinés au milieu des turris. Lorsqu’elle réalise, elle se penche en pouffant sur le cou de sa jeune cousine :

“ C’est trop drôle, regarde bien, ils vont faire un concours de tir ”. Drusilla a secoué son épaule sans répondre, elle n’aurait décidément pas du revenir, mais elle ne savait pas trop quoi faire d’autre aujourd’hui. Elle se demande ce que le petit romain qui est assis un peu plus bas sur sa droite peut bien penser. Le jeune garçon est fasciné, les yeux brillants, et sa mère semble le surveiller de très près.

 

- exercice militaire

 

Six chrétiennes vont constituer les vivants projectiles des deux vieux centurions. Aidés par les esclaves, ils ont répété depuis l’aube leurs sinistres gammes. Ils doivent maintenant effectuer de sordides réglages, et ils contraignent sous le fouet leurs pauvres victimes à passer l’une après l’autre sur une tare à bestiaux. Les poids sont méticuleusement enregistrés sur un papyrus, tandis que les chrétiennes gémissent tels des animaux qui se sentent menés à l’abattoir. L’une des martyres s’enfuit brusquement sur ses pieds nus et agiles avant d’être reprise. Elle est promptement ligotée et abondamment flagellée jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Elle demande pardon en tentant de s’enfoncer dans le sable pour dérober ses chairs pathétiques aux coupures impitoyables. C’est un tas sanguinolent que les esclaves ficèlent et roulent en boule dans de lourdes chaînes avant de le pousser à coups de pied jusqu’à la base de la gigantesque catapulte à torsion.

Elle est soulevée yeux fermés et déposée dans la large cuiller en guise de boulet. Pendant que les esclaves tournent les manivelles pour bander le terrible engin de guerre, la jeune chrétienne émerge de sa prostration. Elle pousse un hurlement atroce en s’apercevant qu’elle est incapable du moindre mouvement, lovée au fond de la niche en bois. Brutalement, elle a entendu un “ click ” impressionnant, auquel a succédé un choc terrible lorsque la cuiller a percuté contre l’arrêt. Un court instant, elle vole dans l’air avec une extraordinaire sensation de bien-être et de liberté. Elle croit monter au ciel pendant cet instant d’apesanteur fugace, son cœur s’est arrêté avant d’exploser en même temps que son corps s’écrase sur la turris. Quelques clameurs marquent leur répugnance amusée tandis que la bouillie du corps martyrisé s’écoule lentement sur la paroi de la turris. Le centurion a marqué un huit, dûment enregistré sur un grand panneau. La seconde chrétienne est devenue folle et secoue la tête de droite à gauche sans pouvoir s’arrêter en riant continuellement. Son rire strident indispose l’autre centurion, qui la calotte pour la faire taire tandis qu’elle est renversée à son tour dans la cuiller. Un long sifflement. Elle n’est plus qu’un amas de chair qui se déverse doucement sur le flanc de la tour. Un cinq seulement, un mauvais tir, qui excède encore davantage le centurion.

Son rival  a lesté le petit poids de son prochain projectile avec des chaînes supplémentaires. La chrétienne toute menue disparaît sous les énormes anneaux, ce qui ne l’empêche pas de protester vigoureusement. Pour mieux se concentrer, le tireur se penche un court instant sur elle, le couteau à la main. Des borborygmes se font bientôt entendre tandis qu’une langue tranchée semble lécher le sable. Un sept récompense la régularité du plus vieux des centurions. Un neuf remet les deux tireurs pratiquement à égalité. Un autre huit obtenu en assommant l’avant-dernière chrétienne oblige le plus jeune des deux centurions à bien jauger la dernière martyre, une grosse fille que les esclaves ont ligoté avec le plus grand mal. Pour qu’elle puisse rester maintenue sans bouger au fond de la cuiller, le centurion a besoin de plus de chaînes sans ajouter davantage de poids. La solution lumineuse se fait très vite jour dans son esprit. Tandis que les esclaves s’emparent de ses épaisses chevilles et la soulèvent à bout de bras en ahanant, le tortionnaire fait siffler son glaive et décapite les deux gros tétons encombrants. Sans désemparer, les esclaves livrent rapidement un paquet pantelant de douleur à l’effarant engin. Les spectateurs se concentrent sur la course du projectile. Avec un écoeurant bruit mat, une gelée sanglante s’est dessiné autour du dix. Des parieurs exultent et se tapent dans le ventre tandis que des sesterces changent de main.  

 

L’après-midi sera consacré à la rédaction des venationes, ces épitaphes que les romains gravent sur des colonnes publiques en mémoire des ancêtres, et les chrétiennes ont gagné un court répit.

 

Chapitre VI - Sixième jour – Derniers supplices

 

La dernière nuit des condamnées à mort a été pathétique. Les chrétiennes se comptent une dizaine, le tragique chiffre d’or des romains pour une journée de spectacle. Sulpicia et Agathe ont consolé leurs sœurs toute la nuit, caressant les visages, les encourageant à prier et à manger un peu pour reprendre des forces. Rien n’y a fait, les jeunes femmes éplorées sont à bout, minées par l’angoisse de l’attente, elles n’ont plus de forces pour se plaindre ou résister.

Dans le petit matin blafard, les cloches qui tintent pour l’ouverture du Colisée résonnent comme le glas de leur pauvre vie de pécheresse. Dressée dans le rai de lumière qui est apparu à travers les barreaux de l’arène, Agathe ressemble à un ange de lumière qui leur donnerait le réconfort d’une absolution miséricordieuse. Elles ont toutes oublié qu’Agathe n’a reçu aucun sacrement, tant elles veulent écouter ses paroles apaisantes.

Le grincement de la grille rouillée est un coup de poignard qui vrille leurs entrailles. Les quatre chrétiennes choisies par les gardes sont arrachées des bras de leurs sœurs pendant qu’une fois encore Agathe et Sulpicia ont été repoussées à coup de lances.

Nues, elles sont dirigées au pied des passerelles qui mènent au sommet des turris. Chacune est contrainte de gravir son chemin de croix en portant les chaînes de l’ancre d’un navire. Elles ploient sous l’énorme fardeau, stimulées à coup de fouet qui marbrent leurs fines chevilles. Exténuées, elles achèvent leur calvaire en s’effondrant sur les plates-formes. Les esclaves ne leur laissent aucun répit et encerclent leurs jambes avec les maillons énormes. Aucune ne peut maintenant se redresser pour assister à la montée des centurions.

Tandis que les esclaves redescendent précipitamment, chaque centurion présente à la foule un grand panier d’osier, en tenant de l’autre main une torche.

Hagardes, épuisées, les jeunes chrétiennes les voient saisir ensemble les anses et renverser les paniers dès que Néron leur a fait signe.

Lorsque les cobras royaux se sont évadé, Agathe a compris toute la perfidie romaine. Les mains libres, mais les jambes entravées, les jeunes femmes ne pourront échapper au piège que les centurions leur préparent en repoussant les reptiles avec leurs torches. Le pire cauchemar prend forme quand les serpents ondulent très vite devant elles.  Une dizaine de cobras tourne maintenant autour des martyres, qui rampent désespérément le long des bords de la tour. Elles sont trop terrorisées pour seulement se plaindre, tirant de leur mains, avec la vigueur que donne une peur absolue, les énormes chaînes qui les paralysent. Les sifflements des têtes menaçantes se sont rapproché, nul espoir, aucune grâce ne sont à envisager. L’une des chrétiennes choisit courageusement sa fin. Elle se laisse glisser au dessus du bord de la turris dans un grand cri. Les autres se déplacent sans cesse jusqu’à ce que leurs forces les trahissent. Les capuchons brun-vert des grands reptiles se balancent au-dessus de leurs proies, les queues claquent furieusement contre le plancher. Un sursaut convulsif, puis un autre, ponctué de cris horribles, puis le retrait des têtes plates dont les crocs suintent encore, et qui semblent observer l’effet de leurs attaques. L’une après l’autre, elles sont piquées, et chaque morsure scandée par la foule injecte un peu plus de venin dans le cœur d’Agathe. C’est Sulpicia qui la console à son tour, tandis qu’elle tremble, elle qui a tant réconforté les autres.

Elle n’est pas autorisée à l’aider davantage. Les centurions se sont emparé d’elle, la tenant au bout de leurs lances comme l’on pique du bétail pour la faire avancer. Les dernières chrétiennes, sauf Agathe, ont été présentées à la foule en liesse pendant que Sulpicia était préparée dans la chambre d’appel des gladiateurs. La jeune géante a eu le privilège de choisir ses armes. Elle a pris un scutulum, sorte de petit bouclier qui lui permettra de parer les coups de griffes, ainsi qu’un trident. Entièrement nue, elle a dédaigné la cotte de maille qui lui était offerte afin de ne pas s’alourdir. Elle toise maintenant, yeux dans les yeux à la même hauteur, le gladiateur qui lui fait face. Celui-ci a reconnu une femme d’exception, et il lui donne en aparté de brefs conseils, d’égal à égale.   

 

Lorsqu’elle pénètre dans l’arène à son tour, les dernières chrétiennes, une mère et ses trois jeunes filles, sont juchées au sommet de la turris qui fait face à Néron. Elles sont recroquevillées ensemble, comme soudées par une tragique déploration. Elles ont levé les bras au ciel pour implorer le pardon de leur Dieu et une mort rapide. En écho à leurs prières, un rugissement est monté depuis la fauverie. Alors que Sulpicia est encore désorientée par l’immensité de l’arène, elle a aussi entendu le sinistre avertissement. Elle court tout de suite pour rejoindre le départ de la passerelle. Juste à temps. Les lions de Galilée, trois grands mâles dont la large crinière fauve claque comme une bannière, se sont déplacé souplement devant elle. Ils l’observent paresseusement, presque avec ennui, en ronronnant doucement. Ils se déplacent sournoisement sur ses flancs, pour la tester. A chaque élan plus net, ils rencontrent un trident pointé fermement sous leur museau. Ils s’énervent petit à petit, impatients de rejoindre la nourriture qui leur est promise. Ils ne sont plus alimentés depuis trois jours. L’odeur du sang menstruel de la jeune chrétienne, qui s’est de nouveau répandu sur le sable, attise brutalement leur appétit. Avec un rugissement profond, le plus jeune a bondi sur Sulpicia. Sous les applaudissements de la foule, elle a fait un pas de côté au dernier moment et le fauve est passé au-dessus de sa tête, tandis qu’elle le gratifiait d’un coup de trident vigoureux.

Le lion a poussé un horrible rugissement de rage en retombant au sol. Il est sérieusement blessé et lèche furieusement ses profondes blessures. Un vieux mâle a observé avec toute son expérience le premier sang qui a coulé. Tandis que Sulpicia se remet en garde, il exécute un crochet pour incurver sa course au dernier instant. La puissance de la jeune athlète lui a permis de suivre la course jusqu’au bout et de présenter encore une fois les pointes du harpon devant le mufle de la bête. Elle darde son arme comme un coup de fouet. Un cri étonné de la foule. Le fauve secoue férocement sa hure, il a perdu un oeil. Pour la première fois, la foule semble du côté d’une chrétienne, et Néron ne manque pas, en fin politique, de sentir ce subtil changement. Sulpicia est brutalement alertée par les avertissements de la foule, mais elle se retourne juste un peu trop tard. Des griffes ont saisi sa jambe, et elle roule au sol à son tour. Le dernier fauve hésite un peu, puis franchit la passerelle sous les cris d’angoisse de la foule.

 

Marcus Gaius a saisi le bras de Clodia et de leur amie Fulvia :

 

“ C’est elle ! Je la reconnais ”.

“ Qui ça ? ”.

“ Elle et les autres, les actrices. Mais enfin, souvenez-vous, la pièce de Plaute, dans l’amphitéâtre de la Via Appia ! ”.

“ Quelle horreur, toutes ces jeunes actrices qui nous ont tant charmé…Elles avaient même fini complètement épuisées, tant il faisait chaud ”.

“ Oh, non, pas elles ! ! ! J’étais même allé féliciter celle qui jouait Athéna ”.

“ Marcus, tu dois aller demander à Néron la grâce de celle-là, au moins ”.

 

Agathe émerge lentement de son état second. Elle a passé sa tête au travers des barreaux pour sentir une bise légère rafraîchir ses joues fiévreuses. Elle a vu comme dans un rêve Sulpicia franchir la maudite barrière. Elle s’en remet à elle, désormais. Puis, son corps a commencé à vibrer doucement avec les premières feintes de son amie. Quand elle tombe au sol, renversée par le coup de patte, Agathe secoue les barreaux comme une démente. Sans même réaliser ce qu’elle est en train de faire, elle prend la clé jetée dans un coin et sort de la cellule.

Personne. Tous les gladiateurs et les esclaves regardent le spectacle depuis une loge intermédiaire un peu plus haut.

Elle vient de surgir dans l’arène sous les cris de surprise. Junon magnifique, nue, elle s’est emparé de la longue épée des mirmillons et a revêtu son noble visage d’un cimier en forme de tête de poisson.

 

Sulpicia a ceinturé dans une étreinte puissante le buste du fauve qui agonise. Elle tente de se dérober aux coups de griffe ralentis qui zèbrent ses flancs et aux morsures puantes qui lacèrent ses seins. Elle est sévèrement blessée maintenant et ses cris de douleur se mêlent aux rugissements du fauve.

 

Calpurnia pose la main sur l’épaule de Drusilla. En même temps qu’elle, des milliers de romains ont retenu leur respiration. Allongé dans son triclinium, le lit à trois places, Néron lui-même a repoussé l’esclave cachée par les monumentales tentures tissées en fil d’or, qui manipule doucement sa verge. Captivé par le duel incertain, il s’est redressé et reste penché au-dessus de la rambarde.

 

Agathe a distrait le vieux mâle avant qu’il ne se rue sur Sulpicia. C’est elle qui tourne autour de lui et le presse pour franchir la passerelle. Le fauve secoue férocement sa crinière pour se débarrasser de son œil qui pend sur son mufle. Affolé par la douleur et la rage, à moitié aveuglé, il charge sans discernement.

Sulpicia s’affaiblit doucement. Une patte a trouvé son flanc. Elle est restée incrustée dans ses chairs qu’elle creuse par saccades. Dans un suprême effort, sa main a trouvé l’extrémité du trident derrière sa tête. Elle trouve la force de s’en saisir pour poignarder inlassablement la crinière dégoûtante de sang.

 

Le dernier lion est parvenu au sommet de la turris en flairant la piste de la jeune chrétienne. Excité par les cris de la foule, il bondit immédiatement sur la famille prostrée qui s’égaille en hurlant. Il s’est dirigé tout de suite sur la proie qu’il recherchait, et son mufle a filé vers le bas-ventre de la jeune chrétienne. Les puissantes mâchoires se sont refermé sur les lèvres charnues de la vulve, tandis que la martyre hurle en frappant le mufle assassin de ses petits poings volontaires.

 

Sulpicia est parvenu à rejeter la dépouille qui semble la vêtir d’une fourrure fraîchement taillée et se relève en chancelant.

Agathe a frappé un coup d’estoc qui a dévié la course frénétique du vieux mâle. Le mufle affreusement labouré, un croc cassé, il rugit en pulvérisant des myriades de gouttes de sang dans l’azur du ciel. Puis il charge encore. Agathe doit écourter leur duel à mort. Elle se précipite à sa rencontre et bloque brutalement sa course. Un genou à terre en effaçant le buste, elle a enfoncé son arme dans le cœur du lion.

Sulpicia s’est effondré. Elle baigne dans son sang, bras en croix. Emportée par l’impact, main crispée sur le glaive massif, Agathe se relève en extirpant la lourde épée de bronze. Elle frappe de taille le corps pantelant, encore et encore. Puis elle se ressaisit et court près de son amie. Elle soulève sa tête, mais Sulpicia trouve la force de la repousser : “ Les autres…. ”, avant de refermer les yeux à jamais.

La foule est au bord de l’hystérie quand Agathe franchit la passerelle. Ses pieds semblent voler sur la passerelle et rebondir sur les rondins en chêne à chaque foulée. Elle tombe sur un désastre. Deux des sœurs gisent mourantes, la dernière est grièvement blessée, et le fauve se relève du cadavre de la mère pour l’achever. Agathe a eu la lucidité de passer devant le soleil flamboyant qui éblouit le jeune mâle impatient et rassasié. Il avance doucement en feulant longuement. Agathe a reculé jusqu’au bord de la turris. Elle l’excite du plat de l’épée, et la patte du fauve joue avec la pointe comme un chat avec une pelote de laine. Puis elle se fend brutalement en s’écartant sur le côté. Le jeune fauve a rugi de colère, le naseau frémissant et sensible a été entaillé. Il bondit instantanément, face au soleil. La proie s’est dérobé, l’ombre flamboyante ouvre ses bras et il bascule dans le vide dans un saut éperdu de terreur.

La foule est restée muette de surprise. Puis monte le nom repris bientôt par des centaines, puis des milliers de poitrines :

“ AGATHE – AGATHE – “  et bientôt scandé “ A-GATHE, A-GATHE, A-GATHE ”.

 

Regulus a très vite rejoint Néron dans sa loge, car il a senti le danger. Il ne peut tout simplement pas admettre que la seule à qui il ait promis par forfanterie de tuer Néron pour conquérir son cœur soit épargnée.   

Néron secoue avec dépit ses bajoues molles. Partout les acclamations se lèvent pour réclamer la grâce de la stupide chrétienne qui a gâché le déroulement des jeux si parfaits jusque là. Il vient d’éconduire sèchement Marcus Gaius à la porte de sa loge et se tient hésitant depuis un long moment. Regulus perçoit son embarras et lui souffle quelques mots à l’oreille.

Soulagé, Néron se penche par dessus la tribune :

“ Romains, je viens d’apprendre que ces infâmes chrétiens, non contents d’avoir brûlé vos maisons et vos temples, ont sacrifié à leur ignoble Dieu des nouveaux-nés, dans la demeure du noble sénateur Albus après l’avoir tué ” Il s’interrompt, conscient de son effet, avant de reprendre la voix brisée par l’émotion “ Je vous le demande solennellement, Ô Romains, quel sort pour ces monstres ? ”.

“ A MORT ”, répond la foule unanime et bouleversée.

Agathe a hurlé en vain pour couvrir les mensonges du fossoyeur de ses soeurs. Sa vaine protestation est emportée par la marée grondante des imprécations de la plèbe.

Néron prend le temps de dévisager celle qui a défié un court instant la volonté du Dieu vivant. Puis son pouce se retourne lentement pour désigner le sol.

 

Deux centurions montent dans la turris. Ils sont armés d’un filet pour capturer la rebelle, mais ils n’en auront pas besoin. Agathe est restée assise, mais Clodia s’est levée de son siège à bout de nerfs. Marcus Gaius, échaudé par l’agacement de Néron, court derrière elle dans le couloir qui longe le vomitorium.

 

Un éclat de rire général a salué l’entrée d’un jeune lion, retardataire égaré qui dormait encore quelques minutes auparavant. Il flaire les dépouilles de sa race quelques instants, puis se penche sur Sulpicia en secouant son cadavre à petits coups de patte craintifs.

 

Drusilla entend une voix enfantine s’élever un peu plus bas à sa droite :

“ Maman, regarde le pauvre lion qui n’a pas sa chrétienne ”. Au lieu de s’esclaffer comme tout le monde autour d’elle, Drusilla prend enfin sa décision. Elle soulève le bras passé autour de son cou par sa cousine et se dégage du contact répugnant. Elle sait que tôt ou tard, elle trouvera le chemin des catacombes à son tour.

 

 

Chapitre VII - Septième jour – le martyre de Sainte Agathe

 

Clodia s’évente nerveusement en attendant dans la chaise à porteurs. Elle vient de remarquer une silhouette élancée à la démarche hésitante de somnambule sur le majestueux perron du Colosseum.

Son regard erre longuement sur les carceres, les enceintes du monument, et se voile quand montent les clameurs barbares. La jeune fille qui continue de s’approcher pleure en silence. Clodia soulève le léger voilage pour ouvrir sa porte en silence. Elle prend Drusilla dans ses bras. La fille du peuple et la patricienne n’échangeront plus un mot.

 

Ce dernier matin, dans les loges fréquentées par les courtisanes, frémit sous la brise naissante une mer d’umbellae, larges ombrelles multicolores stoïquement tenues à bout de bras par des esclaves trop heureux de ne pas être eux-mêmes dans l’arène.

C’est jour de fête puisque la révolte des chrétiens va être définitivement éradiquée avec le supplice de celle désignée par Néron comme la dernière reine de la secte, petite fille putative de ce Jésus l’Iscariote.

Les quatre turris ont brûlé toute la nuit, éclairant de flammes infernales les esclaves chargés de construire une immense plate-forme carrée avec des chênes des Druzzes. Elle est surmontée d’une autre plus petite, mais circulaire et capable de pivoter sur un axe soigneusement graissé. A environ cinq mètres du sol, bien visible de partout, une grande croix de Saint André a été dressée.

Les centurions affectés au supplice d’Agathe se préparent dans l’ergastulum, la chambre de punition des esclaves. Ils sont les trois derniers à n’avoir pris directement part à aucun supplice. Marcellus Aurelius est le plus vieux. Il regrette amèrement que les lions n’aient pas pris la vie d’Agathe, car tout serait dit.

Il était des gardes qui ont tué les nouveaux- nés des chrétiens dans la villa d’Albus pour venger le meurtre du sénateur. Aujourd’hui que sa soif de vengeance est assouvie, il est ébranlé par le mensonge de Néron et le courage des chrétiennes.

L’encre de seiche recouvre le grand panneau accroché à une turris qui relate les crimes d’Agathe.

Epitaphe honteuse, les mensonges du tyran soulèvent pourtant des vagues d’indignation, et les murmures deviennent des clameurs quand Agathe fait son entrée dans l’arène. Des forcenés tentent de franchir la spina, la piste qui les sépare de l’arène, mais ils doivent reculer lorsque les pilums des centurions se font menaçants.

 

Clodia s’est assise aux côtés de son époux. Elle lui chuchote quelque chose à l’oreille. Il la fait répéter, incrédule, avant de se tourner vers Fulvia pour lui apprendre comment Albus est effectivement mort. La conjuration des patriciens vient de débuter à cet instant précis.

 

Marcellus Aurelius ne sera pas immédiatement préposé aux premiers supplices d’Agathe. Il tient sans violence par le bras cette femme superbe qui avance sans frémir au centre de l’arène. Quelque chose passe en lui. Il ne sait pas encore quoi. Il voudrait juste que tout finisse très vite, un coup de glaive et une soirée à s’enivrer avec les putains pour oublier.

L’autre centurion s’apprête à saisir fermement Agathe pour lui faire gravir les marches de l’estrade, mais elle lui échappe pour monter la première et scander d’une voix forte :

“ Peuple de Rome, mes frères, les chrétiens sont innocents des crimes de Regulus. Je meurs pour mon Dieu. Priez pour moi ”.

Néron a sursauté. Regulus a blêmi. Ils savent tous les deux que la force d’âme de la chrétienne a ému une foule qui recommence à se souvenir du combat magnifique qu’elle a livré contre les lions. Ils n’ont pas besoin de se concerter pour savoir combien il est important qu’elle abjure sa foi. Regulus descend rapidement à son tour dans l’arène. La moiteur de l’atmosphère est exceptionnelle pour une fin de matinée.

 

Drusilla aussi est revenue. Elle n’est pas à côté de Calpurnia. Elle cherche dans la foule des visages prêts à pleurer comme elle. Il y a maintenant autant de visages impassibles que de masques de haine ou de lubricité.

 

Les deux légionnaires impassibles se sont emparé d’Agathe. Elle n’a pas voulu qu’ils la touchent plus que nécessaire et elle s’est elle-même dévêtu. Elle contemple la marée humaine stupide devant une telle beauté, les bras ballants, sans provocation. Les femmes sont à la fois jalouses devant ce corps parfait et touchées par tant de grâce virginale. Certaines bêtes humaines savourent simplement le spectacle de formes qui ne seront jamais que lascives à leurs yeux et inaccessibles à leur désir. Ils se consolent avec de grandes rasades de vin et mordent dans des quartiers de viande comme si les seins d’Agathe remplissaient leur bouche. Maintenant, les plus excités n'osent se soulager que dans les puantes latrinae.

 

Tandis que s’envole dans la brise nerveuse la stola qu’Agathe a négligemment laissé retomber, Regulus franchit l’escalier d’un pas saccadé. Son visage est caché par l’un de ces masques de fureur, si familiers à Agathe et dont se parent les histrions grecs.

Il crache ses ordres et Agathe est bientôt liée aux branches rêches de la croix, tête en bas.

Le corps superbe ondule quelques instants pour trouver sa place. Des hommes se sont poussé du coude en commentant les déhanchements suggestifs, mais Marcellus Aurelius a regardé ailleurs.

Comme Clodia, il vient d’apprendre par certains centurions que Regulus a tué Albus de ses propres mains. Son univers est en train de se fissurer.

 

Dans les loges patriciennes circulent des œufs de murène marinés dans de l’huile d’olive épicée et une rumeur folle court dans le deambulatorium. Sur les bords du Tibre, à quelques lieues des faubourgs, un grand nuage noir ratisse la poussière et les feuilles.

 

Regulus contemple quelques instants le corps magnifique qu’il a possédé et qu’il va devoir ruiner, car, il le sait, Agathe résistera très longtemps.

Ses doigts effleurent la taille fine et musclée de son amante. Toutes les femmes de l’arène le perçoivent sans le savoir, c’est comme si elles se sentaient aimées au même instant. Elles retiennent toutes leur souffle par haine, amour, respect ou tendresse.

Il tend la main et c’est Marcellus Aurelius qui est le plus près des tenailles en bois. L’autre centurion a commencé de tisonner le foyer où vont chauffer à blanc des pinces. Sans état d’âme, il a mis à fondre une barre de plomb dans une jatte en argile d’un ocre profond.

Regulus se penche un instant sur le beau visage aquilin qui commence à se congestionner légèrement.

“ Tu peux encore tout arrêter : abjure maintenant et deviens mon esclave à jamais ”.

Agathe a pâli et refermé les yeux sans répondre. A regrets, Regulus se recule lentement.

“ Centurion, fais ton office ”.

 

Drusilla a osé poser les mains sur ses oreilles pour ne pas entendre les premiers hurlements d’Agathe. Quand elle rouvre les yeux, prête à se laisser arrêter, elle s’aperçoit avec stupeur que personne n’a remarqué son geste, tant la foule est partagée dans ses réactions.

L’autre centurion s’acquitte avec conscience de sa tâche. Il a d’abord caressé longuement les longs mamelons rétractés, jouant avec les pointes des seins pour les étirer, soulevant les glandes pleines et fermes jusqu’au milieu du torse. Cette préparation rituelle est incroyablement érotique, car la peau luisante de sueur glisse fréquemment sous les doigts frustes du soldat. Pour être enfin efficace, le bourreau finit par maintenir solidement de la main gauche une ample mamelle dont il fait jaillir le bout de sein. Les femmes ont retenu leur respiration à cet instant précis, lorsque le mors en cuir de la tenaille s’empare du délicat bout de sein. Le centurion semble hésiter un instant, comme saisi par un doute. Il se reprend très vite et referme solidement la mâchoire de son terrible engin.

Le hurlement d’Agathe a été terrible. Le centurion a eu pour consigne de ne pas arracher le tétin, qui s’est rétracté, tout mâché, mais des gouttes de sueur dégoulinent sur le front de la jeune martyre. Elle gémit encore lorsque son autre sein est pareillement dévasté. Ses hurlements continuels frappent la foule, car ils proviennent d’une courageuse combattante, et beaucoup commencent à s’identifier à son supplice. L’air est étouffant.

 

Regulus a repoussé le centurion. Il siffle entre ses dents :

“ Ce n’est rien pour l’instant, tu pourras encore nourrir tes enfants si tu veux vivre. Allez, abjure … ”.

Le temps semble retenu dans l’arène. Une luminosité particulière éclaire le Colisée, comme si le soleil jetait prématurément ses derniers feux de la journée. Deux minces filets de sang sourdent des aréoles éraillées par les tenailles infernales. Elles se répandent sur le visage admirable, tissant un masque de douleur farouche. Agathe gémit “ Je t’ai aimé…VA EN ENFER ”.

Regulus veille à satisfaire tout le public. Il stimule d’un geste régulier les esclaves préposés à faire tourner lentement le manège. Leurs sandales profondément enfoncées dans le sable, ils sont arc-boutés sur leur poussée, le torse fiché dans les grandes barres qui font ressembler l’estrade circulaire au gouvernail d’un navire.

Dans la foule, certains ont commencé à scander “ Abjure, Agathe ! ! !Abjure, Agathe ! ! ! ”.

Néron vient de se faire vomir par un esclave, pour faire de la place à un excellent gâteau de myrtilles au miel de Sicile. Il est mécontent de la tournure des événements, mais la position de la chrétienne lui inspire une idée démoniaque pour mieux la bafouer. Il repousse l'analecta, l'esclave préposé à ramasser les restes des repas. Ses ordres martelés à l’oreille d’un grand eunuque sont brefs et précis.

 

Avant que Regulus ne donne l’ordre de reprendre le supplice, les yeux levés vers l’horizon menaçant, un esclave de Néron monte à grandes enjambées sur la plate-forme. Le gigantesque mandingue secoue ses épaules pour laisser retomber sa grossière sisura et se dévêt devant la foule, révélant des proportions exceptionnelles, même pour un noir. Les hommes ricanent de jalousie, tant ils aimeraient se voir munis d’un tel gourdin pour fouetter eux aussi la croupe d’Agathe. Mais le gros sexe ballotte longuement d’une fesse à l’autre, liane d’ébène qui ne sait que flageller sans pouvoir pénétrer. Le désarroi du grand nègre est presque comique maintenant. Il tente maladroitement d’introduire son gland, trop gros, trop mou, dans le plus petit des orifices qui lui sont offerts. Sous les huées de la foule, il finit par renoncer, le visage cramoisi. Le mot de miracle a commencé de se répandre dans certains gradins.

Les archers attendent aux pieds de la plate-forme le géant noir. Leurs traits sont rapidement décochés. Tandis que l’immense cadavre est porté aux tigres, Regulus s’est de nouveau approché  ”Tu lui as jeté un sort, hein, maudite chrétienne ? Eh bien, tu vas regretter ce sexe qui ne t’a pas pénétré ”.

Marcus Aurelius sent un poids énorme sur sa poitrine, qui s’ajoute à la pression atmosphérique très basse. Il est las, fatigué au delà de tout entendement. Mais il se lève quand même pour se saisir de la corne de bœuf évidée.

Il vient de monter sur la plate-forme et ses yeux ont capté le regard intense de la jeune femme. -ne fais pas ça- semble-t-elle dire avec ses immenses yeux verts dont il ne peut plus se détacher, bien qu’ils soient inversés.

Avec douceur, il introduit lentement la pointe coupée de la corne, attentif à ne pas blesser la tendre ouverture avec les aspérités des bords ébréchés de la pointe. Il n’a pas encore pris sa décision avec sa tête, mais son corps a commencé de protéger la jeune martyre.

D’un pas mécanique, il redescend chercher le seau de plomb fondu qui bouillonne encore.

Il remonte lentement sur la plate-forme avant de s’immobiliser complètement. La foule perçoit par instinct que quelque chose va se produire. Au loin, un coup de tonnerre a semblé donner le départ du désastre. Très vite, Marcus Aurelius renverse la jatte et son contenu sur Regulus. Il redescend en courant les marches en s’emparant au passage de son pilum et se précipite vers la loge impériale. De toute part sifflent des lances et des flèches. Le corps transpercé, le centurion a lancé son pilum dans un ultime et terrible effort. La lourde lance fichée dans la colonne dorique frémit un long moment au-dessus de la tête de Néron. Allongé au sol, le roi du monde a fait sous lui. 

Le regard halluciné du légionnaire a alerté Regulus juste à temps, et son sens du combat l’a fait se rejeter en arrière. Une fraction de seconde lui a suffi pour échapper à la pluie bouillante. Quelques gouttes finissent de consumer sa tunique, qu’il rejette furieusement en arrière. La foule commence de gronder, en écho aux coups de tonnerre rapprochés, une sorte de murmure de réprobation assourdi, d’où ne fusent plus que de rares exclamations pour demander que reprenne le supplice de la martyre.

Néron s’est changé très vite, il jette son peplum souillé au visage du grand eunuque. Celui-ci sait déjà qu’il sera mort ce soir pour avoir assisté à la déchéance du tyran.

Regulus sent que l’âme profonde de la foule est en train de changer. Il faut accélérer le supplice, même si Agathe doit périr avant d’avoir renié son Dieu. Un vent vif semble envoyer en avant-garde quelques gouttes de pluie.

 

Il ôte son casque et se penche sur Agathe. Il contemple un court instant la grotesque excroissance qui saille de la motte tant chérie. Sans plus d’hésitation, il donne un violent coup de poing.

“ HAN ”, a fait Agathe, en poussant un long gémissement. La corne a presque disparu au fond de son vagin, douloureusement bloquée par le col de sa matrice. Seul dépasse le bord, troublant col blanc perché au sommet d’une jungle exubérante. C’est une vulve d’os qui semble béer pour l’arène tout entière.

Le dernier centurion a tendu une louche fumante à Regulus. Les femmes croient sentir les remugles délétères du plomb fondu, mais ce n’est pas dans le temple de Saturne que ce prêtre va faire offrande. Regulus soulève très haut la louche, au vu de tout le monde et surtout d’Agathe.

Le liquide en fusion coule doucement. Les premières gouttes hésitent sur les bords de la corne, prennent le temps de fumer et de se refroidir, brodant un collier argenté qui s’épaissit très vite. Le flux s’accélère un peu. Un soubresaut et un long râle indiquent à la foule que les fragiles muqueuses viennent d’être attaquées. Un petit nuage de fumée s’échappe au rythme des décharges qui semblent frapper le corps parfait. Ils ponctuent la souffrance qui bouleverse les formes admirables pour le plaisir de la foule.

Un craquement sourd fend le cœur des moins barbares. Les tendons des membres tétanisés de douleur d’Agathe cèdent les uns après les autres, car le feu a commencé d’atteindre ses entrailles.

Ses gémissements touchent même Regulus. Les lèvres déchirées par les morsures murmurent : “ Tue-moi….maintenant, tout de suite ! !”.

“ Abjure d’abord, ne t’obstine pas… ”.   Le visage défiguré par la souffrance retombe. Regulus a besoin d’une diversion, il doit retourner les sentiments de la foule. Ses doigts saisissent avec précaution le bord de la corne, et il tire. Quand il relève la tête, il est surpris de voir combien le nuage noir a mangé l’horizon.

Il s’écarte maintenant pour laisser officier le centurion, attentif à ne pas dissimuler la vue à Néron.

Une pince rougie à blanc luit dans l’arène, car le soleil s’est complètement retiré.

“ ffffsssiiiizzzzzzzzzzzzz ”. “ Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh ”.

“ ffffsssiiiizzzzzzzzzzzzz ”. “ Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh ”.

“ ffffsssiiiizzzzzzzzzzzzz ”. “ Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh ”.

“ ffffsssiiiizzzzzzzzzzzzz ”. “ Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh ”.

Dix, vingt fois, l’horrible chuintement précède le cri d’agonie. La pince semble toujours chercher quelques instants sa cible, mais ce n’est que pour mieux faire goûter les affres de l’attente à la chrétienne. Ce sont les flancs des fiers tétons qui se couvrent d’abord de vilaines cloques au pus écarlate, qui recouvrent les bleus laissés par les mors en bois. Puis ces cloques sont minutieusement crevées, et des pinces nouvellement portées au rouge viennent saisir plus profondément des lambeaux de chair de la jeune servante de Dieu. Malgré les violentes torsions de son buste pour leur échapper, les baisers de feu ont détruit progressivement le tour des somptueuses mamelles. Ils les accompagnent sans répit dans leurs soubresauts lascifs qui commencent à se ralentir. De plus grosses tenailles attendent leur tour, et les femmes ont réalisé dès le début leur tragique fonction.

Regulus tente de se tailler un succès en deux temps. Il a repoussé le zélé centurion. Sa main plonge dans la fente outragée. Il exhibe maintenant à la foule silencieuse le moulage du sexe profané. La sombre sculpture semble la représentation même du viol et du mal. Une autre chape de plomb semble peser sur l’arène. La foule a baissé la tête sous un premier éclair. Mécontent de son effet raté, Regulus s’empare lui-même d’une énorme tenaille.

“ YYYYYYYYYYEEEEEEEEEEEEEEEEH ”. Il a saisi une longue pointe oblongue qui fume, et la presse en tournant son instrument. Il tire un peu maintenant, puis de plus en plus fort. Il a manqué tomber en arrière quand le bouton de sein et sa large aréole sont venus d’un coup, noircis d’un sang calciné.

Regulus entend un murmure d’agonie extatique :

“ Quo vadis, Domine ? ”

Le centurion a ranimé Agathe avec des sels. C’est lui qui arrache l’autre bout de sein, il a mordu plus profondément dans la glande et ahane un peu pour tordre et déchirer l’enveloppe des lobules. Regulus a tourné la tête pour capter les intentions de cette plèbe dont il est issu, et son instinct lui dicte que quelque chose de grave est en train de se passer. Des ténèbres de fin du monde semblent s’être abattu sur l’arène. Une pluie légère a fait son apparition.

Regulus n’a pas un regard pour le superbe corps dévasté. Son bras se lève pour abréger la boucherie et il plonge lui-même son épée dans le ventre chéri, depuis le sexe mutilé jusqu’au sternum.                                                    

Un haruspice se hâte pour fouiller les entrailles avec sa culticula en bois afin de prédire l’avenir que Néron lui a commandé. Il relève bientôt un visage gris d’inquiétude et choisit le mensonge :

“ César, j’ai vu ta longue vie, tu seras entouré de l’amour et du respect de ton peuple entier ”. Néron s’est levé. Il salue longuement la foule sans savoir que ses jours sont comptés à son tour. Sans savoir que la septième légion sous les ordres du Consul Alba est à une journée de marche et qu’est proche le temps où il devra supplier un fidèle esclave de l’aider à enfoncer un glaive dans son sein. Un déluge chasse maintenant la foule.

 

                                                        FIN

 

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